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Taxe Ali Baba – Pour un salaire étudiant

LBC07 Taxe Ali Baba
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I.- Pour un salaire étudiant

La création d’un salaire étudiant est indispensable et urgente pour deux raisons. La première est de leur donner les moyens de mener leurs études dans des conditions optimales sur le plan matériel, en éliminant toute source d’angoisse et d’inégalité que pourrait provoquer la précarité, et en assurant l’autonomie envers leur famille. D’autant que les « petits boulots » que sont obligés de faire beaucoup d’étudiants augmentent les risques d’échec à l’université[1]. La crise sanitaire renforce la nécessité d’un salaire étudiant. La seconde raison qui justifie un salaire étudiant est de reconnaître le travail qu’ils réalisent lors de leurs études, certes pour leur carrière personnelle, mais aussi pour l’intérêt général. Tout travail mérite salaire, et mener des études est un travail qui crée de la richesse pour la France comme nous allons le montrer. On peut d’ailleurs se demander, le salaire étudiant étant en vigueur, si la fuite à l’étranger des doctorants aurait été la même, notamment dans le domaine scientifique. La France, qui a inventé le vaccin, ne serait peut-être pas devenue honteusement incapable de trouver un vaccin contre le Covid-19.

La situation faite aux étudiants est indigne

Cette situation ne date pas de la crise sanitaire, mais cette dernière l’a exacerbée. Ce sont les files d’attentes impressionnantes des étudiants faisant la queue devant les banques alimentaires, plusieurs suicides et tentatives de suicide, l’augmentation de la prise d’antidépresseurs qui ont placé la détresse des étudiants à la une de l’actualité.

En septembre 2020, une étude publiée par l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) donnait un aperçu effrayant de cette dégradation. On peut y lire que « pendant le premier confinement, un tiers des étudiants a déclaré avoir rencontré des difficultés financières, et parmi eux un étudiant sur deux les considère plus importantes qu’habituellement ». Certes, le gouvernement a décidé la mise en place d’une aide d’urgence du Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires), pour les étudiants boursiers (soutien financier ponctuel de 150€, réduction à 1€ du prix du repas dans les restaurants universitaires). Ces mesures sont positives, mais largement insuffisantes. De surcroît, même si elles sont nécessaires, les initiatives de charité type banque alimentaire ou dons ne peuvent pas être une solution viable. Elles sont dégradantes pour les étudiants qui les ressentent comme tel.

Avant la crise sanitaire, la vie de nombreux étudiants était déjà difficile. D’après une enquête de l’Insee publiée en décembre 2018, près de 21 % des « élèves et des étudiants » vivaient sous le seuil de pauvreté, contre près de 13 % pour l’ensemble de la population. C’est inimaginable et inacceptable !

« Inquiétante augmentation des tentatives de suicide chez les jeunes » titrait Le Figaro du 29 janvier 2021. À trois jours d’intervalle, début janvier 2021, deux étudiants de l’université de Lyon 3 avaient tenté de mettre fin à leurs jours en se défenestrant. Fin janvier, un jeune de 18 ans, lycéen à Boulogne-sur-Mer, se donnait la mort… Selon une enquête de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), un étudiant sur cinq a eu des idées suicidaires au cours des derniers mois. Au point qu’un l’hashtag #étudiantsfantômes a été créé, repris par des milliers d’étudiants.

Le suicide ou la tentative de suicide résulte d’une accumulation de phénomènes. On peut citer l’accès au logement, aux stages et aux « petits jobs », à l’alimentation, à l’entrée sur le « marché » du travail, aux études qui se déroulent désormais hors les murs des universités, dans l’isolement des chambres d’étudiants. Le tout sur la base d’une augmentation de la pauvreté générant le désespoir. Et tout ceci, dans la plupart des cas, dans l’indifférence totale de l’administration universitaire.

Des « petits jobs » pour payer ses études ?

Depuis des décennies, une très grande proportion des étudiants doit travailler pour payer ses études. Nul ne peut nier que cette situation nuit à l’efficacité des études, alors qu’en même temps ces emplois sont vitaux pour eux. Pourtant, parmi ces étudiants qui travaillent, 60 % ont soit perdu récemment leur travail pendant la crise sanitaire, soit travaillé moins d’heures. Leurs revenus ont reculé en moyenne de 274€ par mois, certains se trouvent dans le dénuement le plus complet. Il est totalement anormal que des étudiants soient obligés de travailler pour financer leurs études. Leur travail c’est d’étudier !

En même temps, sans travail salarié, pas de logement décent. Pourtant, 36 % des étudiants salariés ont perdu leur emploi depuis mars 2020. Certains étudiants ont perdu leur job, d’autres leur logement, d’autres encore les deux, et ont dû retourner chez leurs parents. Tout le système des bourses est à repenser afin de donner une réelle autonomie aux étudiants vis-à-vis de leur famille. La situation des jeunes travailleurs qui ont basculé dans le chômage est tout aussi préoccupante : un sur deux a réduit ses dépenses alimentaires ou sauté un repas au cours des 6 derniers mois.

Détresse, isolement, dépression, précarité, épuisement : jamais les conditions de vie des étudiants ne se sont dégradées à un tel point sous l’impact de toutes les politiques d’austérité de la dernière période, aggravées par la crise sanitaire face à laquelle le gouvernement témoigne à la fois d’une grande impuissance et d’une instrumentalisation pour réduire les libertés publiques. Comment en effet justifier les différences de traitement entre citoyens français : ceux qui ont le droit de se réunir pour travailler et les autres (notamment les étudiants, les chômeurs, les artistes…), ceux qui ont le droit de se réunir pour faire de la politique (gouvernement) et ceux que l’on prive de leur droit politique de réunion ? Qui décide de ce qui essentiel et de ce qui ne l’est pas ?

Passer leur vie universitaire derrière l’écran d’un ordinateur, privés de ce qui fait le sel de ces années, confinés dans leur studio ou chez leurs parents, sans cours en amphi, sans bibliothèque, sans petit job, sans fêtes, sans vie culturelle, les étudiants étouffent de cette monotonie. Beaucoup sont gagnés par la lassitude et l’abattement. Chez eux, le sentiment d’abandon de la part de l’État domine, comme pour les Gilets jaunes…

Même les stages sont à l’arrêt, alors qu’ils sont nécessaires à l’obtention de certains diplômes. Dans le secteur de la culture par exemple, tout est complètement bloqué, aucune société de production ne prend de stagiaires.

Heureusement, des lueurs d’espoir s’allument ici et là. Ainsi, mercredi 20 janvier 2021, des milliers d’étudiants ont manifesté dans toute la France pour réclamer une réouverture des cours dans les universités. À Paris, ils ont défilé sous les fenêtres du ministère de l’Enseignement supérieur pour crier leur lassitude et leur détresse d’être cantonnés aux cours à distance depuis le deuxième confinement décidé par l’exécutif fin octobre 2020 pour endiguer la propagation du Covid-19. D’autant que les moyens pour les cours à distance ne sont pas au niveau ; tout s’est mis en place dans la précipitation et sans aucune concertation pour une réforme de cette ampleur.

Une vaste campagne pour la réouverture des universités dans des conditions décentes doit être organisée. Il faut utiliser toutes les salles et amphithéâtres disponibles, les ventiler et les désinfecter régulièrement, fixer des jauges permettant de respecter les distances de sécurité… A cette campagne, il faudra ajouter la revendication du salaire étudiant, car cette solution élimine à la racine la plupart des difficultés des étudiants.

Questions sur le salaire étudiant

Pour la classe dominante, l’idée d’un salaire étudiant n’est pas imaginable et constitue à ses yeux un danger à combattre coûte que coûte. Pourtant, aujourd’hui, le salaire étudiant est déjà plus ou moins une réalité dans certains pays scandinaves. Selon l’OCDE, le pourcentage d’étudiants bénéficiant d’une aide financière au Danemark était de 83 % en 2017-2018. Un taux comparable à celui de la Norvège (90 %) ou de la Suède (89 %), supérieur à celui de la Finlande (58 %). Le plus gros problème, dans ces pays, est l’afflux d’étudiants européens qui viennent pour bénéficier de ces aides et repartent aussitôt leurs études finies. Est-il juste que les contribuables investissent dans la jeunesse, et qu’une partie des fonds ne profite pas à la société ? Pourquoi les pays concernés ne feraient-ils pas comme la France en mettant en place un salaire étudiant pour leurs étudiants expatriés ? Il est bien évident que le salaire étudiant, en France, ne pourra concerner que les étudiants de nationalité française, sauf si les pays étrangers envoyant des étudiants en France remboursent notre pays.

Dans son rapport Regards sur l’éducation 2019, l’OCDE résume ainsi la stratégie des pays nordiques en matière d’enseignement supérieur : « frais de scolarité nuls et aides généreuses aux étudiants ». Pour la France (mais aussi la Belgique, l’Italie ou la Suisse) : « frais de scolarité peu élevés ou modérés, et systèmes d’aide aux étudiants moins développés ».

N’oublions pas non plus que plusieurs grandes écoles, en France, aujourd’hui, payent déjà un salaire à leurs étudiants. Avec 1 617 euros net par mois en 2020, les étudiants à l’École nationale d’administration (ENA) sont rémunérés un peu au-delà du Smic. Viennent ensuite les étudiants à l’École normale supérieure Paris (ENS) qui touchent 1 342 euros. On trouve également l’École polytechnique avec un salaire de 900 euros versé aux étudiants.

Le raisonnement tenu pour justifier un salaire à certains étudiants et pas à d’autres repose sur le fait que ces étudiants ont un statut de fonctionnaire stagiaire. En outre, cette rémunération sert également à attirer des talents vers la fonction publique et permettre le recrutement de personnes venant de milieux populaires. La pérennité de ces salaires est néanmoins menacée, au motif que l’accès des milieux populaires à ces écoles prestigieuses reste extrêmement limité. Ainsi, on compte 83 % d’élèves de famille CSP+ à l’ENS Paris ; 7 % d’enfants d’agriculteurs, d’artisans, d’ouvriers et d’employés à Polytechnique ; ou encore 4 % seulement d’élèves de l’ENA ayant un père ouvrier… Ces constats sont tout à fait réels, mais si l’on supprimait le salaire dans ces écoles, il y aurait évidemment encore moins d’étudiants venant des classes populaires…

Les arguments justifiant un salaire pour les étudiants de ces grandes écoles sont donc parfaitement fondés. La question est maintenant de savoir si des arguments solides peuvent justifier de verser également un salaire à tous les étudiants en évitant le phénomène bien connu des étudiants fantômes qui s’inscriront pour le salaire, comme certains aujourd’hui pour les bourses. La réponse est positive pour deux raisons : la poursuite de l’œuvre du programme du Conseil national de la Résistance de 1944, et la nécessité d’élargir la notion de travail pour être vraiment dans notre époque.

Poursuivre l’œuvre du programme du Conseil national de la Résistance

Aurélien Casta, sociologue à l’Institut de recherche sur l’éducation à l’université de Bourgogne, a récemment sorti d’archives poussiéreuses le projet des Résistants de la Seconde Guerre mondiale sur la gratuité des études et le versement d’un salaire étudiant[2]. En outre, une étudiante en Master « Politiques et gestions de la culture en Europe » à l’Institut d’études européennes (IEE) de l’université Paris-8 Saint-Denis, Léa Alexandre, a publié le 28 avril 2020 un très intéressant mémoire sur le sujet[3].

Dans le sillage du programme du Conseil national de la Résistance, plusieurs organisations de jeunesse, comme l’Unef, ou de salariés, avaient pris position après 1945 en faveur d’un « salaire » étudiant appelé aussi « allocation d’études ». Une proposition de loi a d’ailleurs failli être adoptée en 1951, mais la commission des Finances de l’Assemblée nationale enterra la proposition[4]. Voir l’annexe 1.

Pour la commission, « C’est l’étudiant en tant que tel par la valeur présente de son travail, qui mérite de recevoir non pas une aide, non pas une allocation, ni un salaire, terme trop économique, mais une sorte de consécration matérielle de l’importance et de la dignité de sa condition » (rapport de la commission de l’Éducation nationale).

Ce rejet peut être attribué à deux causes. La première est une opposition de fond du gouvernement de l’époque, exprimée lors de la séance plénière du 12 mai 1951 par le ministre de l’Éducation nationale, Pierre-Olivier Lapie (SFIO), sur le principe même d’un salaire étudiant. La seconde raison du rejet est d’ordre administratif, autour de deux objections, l’une sur la gestion (la caisse autonome donnait trop de pouvoir aux acteurs) et l’autre sur le financement du dispositif (qui n’avait pas été prévu dans la proposition de loi).

Quels arguments contre le salaire étudiant ?

On peut identifier quatre arguments principaux qui ont jusqu’à présent empêché la mise en œuvre du salaire étudiant.

Le premier est la « théorie » néolibérale du « capital humain ». Selon cette conception, l’être humain est une sorte d’entreprise à lui tout seul qui doit se doter d’un capital global : capital formation, capital santé, capital financier, capital immobilier, capital relationnel… Concernant la formation, chacun doit investir sur ses propres deniers pour se doter de ce capital particulier (sauf en partie pour la formation continue avec le compte personnel de formation alimenté par l’entreprise ou par l’État pour les fonctionnaires). C’est pourquoi les partisans de cette pseudo théorie sont totalement opposés aux bourses étudiantes et évidemment à l’idée même d’un salaire étudiant. Ils préfèrent la privatisation des études supérieures, l’augmentation des frais de scolarité et l’octroi de prêts aux étudiants. Les étudiants sont conçus comme des investisseurs : ils financent leurs études, y compris en empruntant, pour avoir une meilleure rémunération future. Le prix des études qu’ils achètent correspond alors au capital formation que les diplômés vont accumuler et faire normalement fructifier dans le futur. L’habitude a été prise, en France, que les étudiants doivent auto-financer leurs études. L’université a même adopté le langage du marché, sur le modèle états-unien, puisqu’on y parle de « compétences » qui se comptabilisent en « crédits » (Ects). L’étudiant serait donc un investisseur et non un travailleur. Il remboursera donc lui-même son investissement lorsqu’il entrera sur le « marché » de l’emploi.

Le deuxième argument anti-salaire étudiant est celui du risque de la « déresponsabilisation » des étudiants. C’est un grand classique des conceptions rétrogrades de la société. Ainsi, par exemple, l’un des gardiens de l’idéologie néolibérale au journal Les Échos (propriété de Bernard Arnault), Jean-François Pécresse, dans un article intitulé « Pas de salaire pour étudier », publié quelques jours après la tentative de suicide d’un étudiant de Lyon 2, estimait : « La revendication d’un salaire étudiant qui pointe derrière les revendications de ceux qui instrumentalisent ce drame de la précarité est une manière de déresponsabiliser les jeunes ». On ne voit pas en quoi la situation actuelle, faite de ressources insuffisantes plongeant une grande proportion des étudiants dans la pauvreté et la précarité, serait un moyen efficace de les responsabiliser. Et que la situation inverse, grâce à un salaire étudiant, leur permettant de se loger et de se nourrir convenablement, serait un risque de les déresponsabiliser. Cette rhétorique n’a ni queue ni tête.

La troisième raison qui bloque la création d’un salaire étudiant est la persistance d’une idéologie archaïque qui considère les étudiants comme d’éternels mineurs devant être à la charge de leurs parents. Pour Tom Chevalier[5], chargé de recherche au CNRS (laboratoire Arènes), Sciences Po Rennes et chercheur associé au Centre d’études européennes et de politique comparée, c’est le cœur du sujet : « Contrairement aux pays nordiques où il y a une individualisation des prestations sociales auxquelles les jeunes accèdent à partir de 18 ans, la France a fait le choix de la familiarisation des aides dont l’attribution dépend des revenus des parents ». Ce serait un héritage de la tradition catholique qui privilégie la solidarité familiale à la solidarité nationale et qui explique aussi que l’âge requis pour être éligible au RSA, par exemple, soit 25 ans et non 18, âge de la majorité légale. On peut faire remarquer que c’est ce système qui déresponsabilise les étudiants en les laissant pour beaucoup d’entre eux à la charge de leurs parents. Ainsi, selon cette conception, l’étudiant resterait un éternel enfant[6]. Le système d’aides français considère les étudiants comme des mineurs, et donc non-indépendants, qui peuvent et doivent être aidés par leurs parents. Ainsi les bourses sont basées sur des critères sociaux individuels et principalement la situation financière de la famille de l’étudiant. Contrairement au Danemark où les jeunes sont considérés indépendants dès 18 ans, en France ils restent attachés fiscalement et symboliquement à la famille. Cette situation condamne les étudiants à la dépendance parentale et les infantilise. Le soutien familial est un facteur important d’inégalités et ne peut garantir une réelle autonomie de la jeunesse.

La quatrième objection contre le salaire étudiant est elle aussi un grand classique de la pensée archaïque : l’impossibilité de le financer[7]. Selon cette vision de la société, il n’y a jamais d’argent pour les pauvres ou même pour ceux qui, sans être pauvres, auraient besoin d’un soutien pour avancer dans la vie.

Faire que le statut d’étudiant soit considéré comme équivalent au statut de salarié, et donc avec un salaire, implique d’élargir la conception que nous avons du travail. Certes, le travail restera toujours l’activité de production de biens et de services permettant de répondre aux besoins collectifs et individuels de la société et de ses membres. Ce qui changera, ce sont ces besoins individuels et collectifs, sous la pression pas toujours maîtrisée de l’évolution des mœurs, des sciences, des technologies, mais aussi des choix politiques résultant d’une démocratie participative affirmée. Nous faisons abstraction, ici, des dérives que constituent les effets pervers de la publicité et de la recherche du profit privé à très court terme sur les modes de vie et de consommation, car la société peut les combattre et les éliminer. Le moment est donc venu d’élargir la conception du travail à deux nouvelles dimensions : la production de soi-même et la production de société.

Un salaire pour se produire soi-même

La production de soi-même relève de la décision propre à chaque citoyen de conduire son existence. Encore faut-il, pour y parvenir, qu’un cadre matériel favorable soit mis en place dans la société sur le plan institutionnel, juridique, financier et culturel.

Se produire soi-même nécessite un salaire pour les étudiants, même si la production de soi-même concerne tous les citoyens. Ce salaire reconnaîtra « la valeur personnelle de l’étudiant », sa « qualité présente » et « le travail qu’il poursuit ». Étudier est un travail qui mérite salaire. Il enrichit la personne qui l’exécute, et enrichit également toute la société. De quoi s’est enrichie la société grâce au travail des étudiants pour apprendre ? D’abord, la société est plus riche tout de suite, pas simplement lorsque les étudiants entreront sur le « marché » de l’emploi. Les étudiants réinvestissent leurs connaissances et leur sociabilité par une forte implication dans des associations de toutes sortes, par la participation à la vie de la cité (entraide, politique, projets universitaires d’intérêt général…). Cela règle aussi le problème des stages et jobs sous-payés et qui sont en fait une pression à la baisse sur les salaires et sur le travail.

La société est plus riche, ensuite, car elle enlève aux parents des étudiants d’origine modeste un poids financier qui pouvait être dans certains cas un véritable sacrifice. En outre, une société dans laquelle des centaines de milliers de jeunes se cultivent, apprennent des gestes professionnels, font de la recherche scientifique en toute tranquillité et sécurité matérielle, est une société optimiste, tournée vers l’avenir. Tout le climat social changera, l’espoir collectif renaîtra.

Nous sommes, avec ce qui vient d’être dit, à des années-lumière de la conception néolibérale du « capital humain » dont la valeur, pour les étudiants, ne repose pas sur la « qualité présente » de ce qu’ils font, mais sur l’utilisation future de leurs compétences dans le système économique et uniquement dans celui-ci. Au prix d’un endettement pouvant courir sur 10 ou 15 ans et la menace de provoquer une nouvelle crise financière.

Les avantages du salaire étudiant sont nombreux et évidents : offrir une autonomie réelle aux personnes en formation ; les libérer de la tutelle familiale ou patronale (les « petits jobs ») ; réduire la précarité étudiante ; reconnaître socialement le travail qu’ils font comme production de richesse. La valeur sociale du travail étudiant bénéficiera à l’individu et à la société, tout comme le travail d’un salarié possède une valeur productive qui bénéficie à la société (pas dans tous les cas, hélas, quand il s’agit de produire des armes, des produits chimiques nocifs pour l’agriculture et l’environnement…).

Un salaire pour produire de la société

Le salaire étudiant, en plus de la production de soi-même, va rémunérer une activité de production de société. Dans ce que proposaient les Résistants à la Libération, il ne s’agissait pas seulement de rémunérer les étudiants sur des critères individuels et sociaux en fonction de leurs besoins notamment de logement. Il s’agissait de reconnaître et de valoriser le travail étudiant comme un travail productif. Accorder de la valeur à la production étudiante serait une puissante source de motivation des jeunes à faire des études, à stimuler la recherche, à donner un sens au statut d’étudiant. La question se pose de moduler le salaire en fonction de la réussite des études et de leur niveau. Les visées de la production étudiante sont sociales et intellectuelles, non lucratives, elles permettront aux jeunes d’être indépendants et adultes.

La revendication d’une rémunération étudiante est donc logiquement discréditée par les milieux néolibéraux qui voient notamment dans cette mesure un gouffre financier. Elle est également contestée chez certains milieux de gauche qui y voient un instrument d’une politique de droite. Ils considèrent en effet que la mise en place d’un salaire étudiant contribuera à renforcer les inégalités sociales puisqu’il rémunèrera au même niveau les étudiants issus de milieux sociaux favorisés et défavorisés. Nous mettons ce point au débat : les étudiants, qui sont majeurs, doivent-ils être autonomes vis-à-vis de leur famille, indépendamment de la catégorie sociale de ces familles ? Notre réponse est positive.

Il n’en reste pas moins que le salaire étudiant, versé tout au long des études, ne peut s’envisager qu’à deux conditions. La première est l’assiduité aux cours, les absences devant entraîner des retenues sur salaire, comme pour tous les salariés. La seconde condition est de réussir les examens. En cas d’échec, le salaire serait suspendu et remplacé par le système des bourses, offrant ainsi une deuxième chance. Les avantages du salaire étudiant portent également sur la protection sociale. Chacun serait couvert comme tous les salariés, par l’assurance-maladie, l’assurance-chômage, l’assurance-retraite… Autant de cotisations nouvelles pour les régimes sociaux…

De son côté, comme nous allons le voir, le RSA 18-25 se justifie en partie pour des raisons identiques à la nécessité du salaire étudiant.

  1. https://pourlasolidarite.eu/sites/default/files/publications/files/na-2017-decrochage-scol-travail-etudiant.pdf

  2. Aurélien Casta, Un salaire étudiant. Financement et démocratisation des études, La Dispute, 2017.

  3. https://academia.hypotheses.org/22973

  4. Aurélien Casta, « La rémunération étudiante » (1950) : Une proposition de loi à la croisée des solidarités salariales et de la réforme universitaire », Revue française de pédagogie, no. 181, 2012.

  5. Tom Chevalier, La jeunesse dans tous ses États, Presses Universitaires de France, 2018.

  6. Tom Chevalier, « En France, les étudiants sont considérés comme de grands enfants », Le Monde, 17 décembre 2019.

  7. Tom Chevalier, « Une allocation d’autonomie pour les étudiants n’aurait rien d’une utopie budgétaire », Le Monde, 27 novembre 2019.



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