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Un référendum sur la loi de programmation de la recherche

Un référendum sur la loi de programmation de la recherche
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Le vendredi 20 novembre 2020 marque un jour funeste après l’adoption par le Sénat de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) pour les années 2021 à 2030 : période de programmation inédite, comme le souligne le Conseil d’État lui-même[1]. Le texte avait déjà été adopté par l’Assemblée nationale à 188 voix[2] contre 83 le 17 novembre, en plein contexte de crise sanitaire. Le hasard du calendrier faisant bien les choses, la loi relative à la sécurité globale[3], qui accompagne l’offensive macroniste contre les libertés, vient d’être votée le 20 novembre en procédure accélérée.

La loi LPPR a de quoi inquiéter, car elle s’inscrit dans une volonté de subordonner l’Université française aux intérêts du pouvoir politique, lui-même aux ordres de l’idéologie capitaliste. Le 24 janvier 2018, Antoine Petit était nommé par décret d’Emmanuel Macron Président-directeur général du CNRS. Ce castor barragiste en 2017[4] coche toutes les cases du macroniste de choc : partisan des théories post-coloniales états-uniennes[5], il s’est forgé une petite notoriété en faisant sa profession de foi néo-libérale, dans son éloge du « darwinisme social »[6] de la future LPPR. Le 20 octobre 2020, Macron nommait encore à la tête du Haut Conseil pour l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) un autre de ses idéologues du marché, Thierry Coulhon, ancien directeur du programme « Campus d’excellence » et zélé partisan de la méthode des financements par projet[7] destructif du principe même de la recherche :

Image par Sang Hyun Cho de Pixabay

La réduction de la recherche, écrit le Professeur de droit Olivier Beaud, à la recherche appliquée et son financement à partir de programmes planificateurs conduisent à nier la liberté principielle que nécessite la recherche fondamentale. […] Le pilotage bureaucratique de la science, au point où il est parfois poussé, est une atteinte non seulement à la liberté de recherche, mais aussi au bon sens.[8]

Or on l’a déjà vu avec les gilets jaunes, le gouvernement En Marche n’hésite pas à intimer au bon sens de se taire devant la loi martiale de l’évidence. Il pourra même le faire désormais à l’abri des caméras suspectes[9]. C’est donc dans ces circonstances que viennent d’être votés deux amendements qui achèvent d’assujettir l’Université française et de détruire les libertés académiques. Signe de la dérive despotique du gouvernement, le code de l’éducation est complété d’un volet pénal par l’article L. 763-1[10] ajouté au titre VI du livre VII, qui réprime le droit d’occupation des Universités de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000€ d’amende. En outre, la LPPR enterre le Conseil national des universités (CNU), instance élue et collégiale, chargée depuis la Libération de l’impartialité dans la gestion de carrière des enseignants-chercheurs, héritée d’une longue tradition d’auto-gestion qui fait barrage aux pressions politiques[11]. Dans sa logique de démantèlement des acquis du Conseil national de la Résistance (CNR), En Marche s’attaque ainsi à l’un des piliers des libertés académiques. C’est peut-être Frédéric Vidal qui résume le mieux l’esprit caporaliste d’En Marche, cet « extrême droite de notre temps »[12] comme l’écrit Stéphane Rials dans son blog Assasri :

En tant que fonctionnaires d’État, affirme Vidal devant l’Assemblée nationale, l’ensemble des Présidents d’Université, Professeurs, Maîtres de conférence […] sont des fonctionnaires de l’État. Il est évidemment très important qu’ils portent les politiques publiques décidées par l’État. C’est le devoir de tout fonctionnaire, ce devoir d’obéissance et ce devoir de loyauté […].[13]

Le « macronisme », écrit Rials, vigoureusement épaulé d’ailleurs par sa fausse opposition « de droite », toujours prête à surenchérir sur les plus réactionnaires mesures, n’est en rien un centrisme, contrairement à ce que l’on a voulu tout d’abord faire croire au peuple ; il comprend, portés à une surprenante incandescence, les trois caractères qui permettent à mon sens de classer une orientation politique à l’extrême droite = l’inégalitarisme le plus affiché ; l’idée de quelque intangible ordre naturel [ou divin] des choses […] ; la violence politique, couronnant, si l’on peut dire, d’un extrémisme dans les formes, dans la manière, l’extrémisme substantiel de l’idéologie [violence physique en particulier, prolongeant la violence légale, et déchaînée désormais sans mesure, avec des conséquences épouvantables, parfaitement inconnues ici depuis l’époque de la décolonisation – des morts, des mutilés, des blessés innombrables, des gardes à vue sans motifs raisonnables, souvent préventives, et parfois rendues à dessein très dures, prolongées de façon injustifiable, des condamnés à des peines de prison hors de proportion, dans un climat interdisant un exercice serein de la justice, de nombreux manifestants devant d’ailleurs être jugés seulement dans les mois qui viennent.][14]

Image par Gerd Altmann de Pixabay

La réforme s’inscrit donc dans un contexte plus large d’offensive contre les libertés publiques. En Marche, slogan vichyste et mitterandiste[15] qui ne laissait rien présager de bon, aura donc eu raison des libertés académiques, à l’heure où l’esprit de résistance est durement réprimé par un régime qui profite très largement d’une crise sanitaire pour accroître ses pouvoirs. Or comme l’a montré Georg Lukacs, La destruction de la raison est la meilleure préparation au fascisme, et sa destruction commence à l’évidence par la destruction de l’enseignement. La réforme de l’Université rappelle les attaques des régimes totalitaires qui, rêvant de citoyens hébétés, sèment l’irrationalisme pour mieux asseoir leur domination. « J’assume de mentir pour protéger le président de la République », affirmait sans complexe la porte parole d’En Marche Sibeth Ndiaye en 2017. On ne sera donc pas étonné ensuite de la croisade de Laetitia Avia (membre de l’Assemblée nationale pour la République en Marche) contre la haine, qui accentue la dérive despotique d’un régime jupitérien aux abois. La réforme de l’Université, déjà largement désorganisée par le manque de budget, n’est que le prolongement de cette logique fascisante.

Au lieu donc de demander la démission de Frédéric Vidal[16], pour supplier un Président retors déjà célèbre pour ses traîtrises[17] et sourds aux cahiers de doléances[18], il conviendrait plutôt d’inscrire la contestation de la LPPR dans celle plus large du Fake state[19] actuel, et d’en appeler, comme sous l’Ancien régime, à la convocation des États-généraux de la nation, pour régénérer la souveraineté du peuple contre une élite à la dérive qui imagine gouverner la « Start-up nation » comme une entreprise[20]. Le monde universitaire, et a fortiori les enseignants-chercheurs en droit, ne doivent-ils pas s’ériger en gardien de la République ? De toute évidence, les technocrates répondront par la technique, en restant sourds à tout discours de bon sens. Or la question de l’enseignement supérieur et de la recherche n’est pas une variable d’ajustement macro-économique du domaine d’une « experitocratie »[21], mais elle est intimement liée à la culture d’une opinion publique éclairée, c’est-à-dire à la formation de citoyens acteurs de leur histoire politique. Outre les universitaires eux-mêmes, le peuple est donc concerné par la LPPR, et c’est à lui que doit revenir la décision de réformer l’organisation de l’Université en France puisque « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ».

Image par My pictures are CC0. When doing composings: de Pixabay

C’est donc la nature même de l’acte législatif qui interroge. Car la LPPR est une « loi de programmation», c’est-à-dire une loi qui est matériellement constitutionnelle, alors même qu’elle est adoptée par le pouvoir constituant dérivé (ou plutôt usurpé) sans que soit prévue à aucun moment la consultation du peuple. La LPPR peut donc compléter ou préciser, c’est-à-dire modifier sur le fond la constitution, en s’attaquant en l’occurrence aux libertés académiques, tandis que le pouvoir s’affirme de jour en jour de plus en plus en rupture avec la démocratie. C’est pourquoi, comme nous le proposons, la Constitution devrait être révisée pour intégrer la création d’un référendum annuel à questions multiples. Parmi ces questions il y aurait toutes les lois de programmation. Le peuple pourrait ainsi trancher toutes les questions stratégiques qui se posent au pays.


  1. http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3234_avis-conseil-etat.pdf
  2. On pourra s’en rapporter à ce lien pour consulter les noms de ces députés indignes, qui, espérons-le, recevront de génération en génération de nouvelles flétrissures. https://academia.hypotheses.org/28703
  3. https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-letranger-france-linquietante-loi-sur-la-securite-globale
  4. https://www.huffingtonpost.fr/2017/04/27/la-recherche-scientifique-francaise-appelle-a-voter-contre-marin_a_22058394/
  5. https://www.lexpress.fr/actualite/politique/les-bonimenteurs-du-postcolonial-business-en-quete-de-respectabilite-academique_2112541.html
  6. « Il faut, déclarait-il en novembre 2019, une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale, une loi qui mobilise les énergies. » https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/la-recherche-une-arme-pour-les-combats-du-futur-1150759
  7. Coulhon affirmait en septembre 2019 qu’il fallait « donner à l’évaluation son plein impact, c’est-à-dire construire, ou plutôt reconstruire, le lien entre l’évaluation et l’allocation des moyens » (https://www.aefinfo.fr/depeche/612742). « Ce n’est pas qu’une question de moyens, déclarait Macron en avril, c’est une question de reconnaissance, d’organisation, de simplification, de pragmatisme. »  (https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/10/14/recherche-les-risques-de-nouveaux-clivages_6015487_1650684.html) Derrière cette prétendue « excellence », c’est toute la logique de la concurrence qui est appliquée à la recherche, et qui permet de ne pas allouer des moyens supplémentaires à l’institution, mais de distribuer un budget généralement insuffisant à des projets sélectionnés pour leur pseudo mérite (le mérite aux courtisans?). Le darwinisme social se traduit ainsi par la mort d’une partie de la recherche, celle précisément qui revendique le plus d’indépendance.
  8. Olivier BEAUD, « Les libertés universitaires » in Commentaire, jan. 2010, N° 129, p. 187. On pourra ajouter encore la réforme des sections disciplinaires, qui marque une nouvelle attaque au principe d’indépendance de l’Université. Voir https://www.village-justice.com/articles/reforme-des-sections-disciplinaires-universitaires-simple-adaptation,35387.
  9. https://www.ouest-france.fr/societe/droits/interdiction-de-filmer-la-police-la-defenseure-des-droits-reclame-le-retrait-de-l-article-de-loi-7058333
  10. « Art. L. 763‑1. – Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, est passible des sanctions définies à la section 5 du chapitre Ier du titre III du livre IV du code pénal. » https://www.senat.fr/petite-loi-ameli/2020-2021/117.html Voir le code pénal: Article 431-22: Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, est puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende. Article 431-23: Lorsque le délit prévu à l’article 431-22 est commis en réunion, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. Voir encore le 431-24 à 431-27.
  11. https://academia.hypotheses.org/27401
  12. https://assasri.wordpress.com/2019/01/06/le-macronisme-une-extreme-droite-de-notre-temps/
  13. https://twitter.com/NTR_VNR/status/1089540879705169927 « Faut-il rappeler, écrit Olivier Beaud, que les régimes autoritaires violent constamment les libertés universitaires et que les régimes totalitaires – nazi et soviétique – les ont foulées au pied en interdisant le droit de chercher et de publier librement et en chassant de l’Université certains professeurs pour des raisons tenant à des considérations non universitaires (raciales ou politiques) ? » Olivier BEAUD, « Les libertés universitaires » in Commentaire, jan. 2010, N° 129, p. 178.
  14. https://assasri.wordpress.com/2019/01/06/le-macronisme-une-extreme-droite-de-notre-temps/
  15. https://www.liberation.fr/checknews/2018/03/19/la-france-en-marche-etait-elle-vraiment-un-slogan-de-vichy-comme-marine-le-pen-l-affirme_1653391
  16. https://academia.hypotheses.org/27925
  17. Il est comique de voir Jean-Pierre Jouyet, mentor de Macron, s’étonner d’avoir été lâché par son ancien protégé, qui l’a bien évidemment instrumentalisé pour servir son ambition. « Dénué de tout affect, écrit Jouyet, Jupiter utilise toutes les armes de sa séduction pour valoriser son propre ego, démesuré diront certains. D’où ce rejet visible, presque enfantin, de tous les proches avec lesquels il a ‘partagé’ les moments et les sentiments qui semblaient les plus amicaux. » Jean-Pierre JOUYET, L’envers du décor, Albin Michel, 2020. Traître dans le privé, Macron est surtout un traître au public, c’est-à-dire le « président des très riches. » https://www.youtube.com/watch?v=14qMzMjakFE&ab_channel=Crossplatform
  18. https://www.ouest-france.fr/societe/gilets-jaunes/crise-des-gilets-jaunes-mais-ou-passes-sont-les-cahiers-de-doleances-6694568
  19. Voir Frédéric FARAH, Fake state. L’impuissance organisée de l’Etat en France, H&B, Paris, 2020. https://www.marianne.net/economie/fake-state-la-social-democratie-s-est-retournee-contre-les-travailleurs
  20. Voir Johann CHAPOUTOT, Libres d’obéir: Le management, du nazisme à aujourd’hui, Paris Gallimard, 2020.
  21. Philippe RAYNAUD, « Université » in Commentaire, n°121, printemps 2008, p. 139-143. Il est cocasse de souligner l’ignorance de cette experitocratie qui vote sans aucune maîtrise de ses sujets. Le sénateur Jean Hingrayj a pu ainsi parler du « Centre National universitaire » au lieu du Conseil national des Universités (CNU). https://twitter.com/Pr_MTD/status/1329741814119731201

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