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Livre blanc constituant 1.0 chapitre 5 – L’euro, arme de destruction massive des salaires et de l’emploi

Livre Blanc constituant n° 1
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V.- l’euro, arme de destruction massive des salaires et de l’emploi

On pourrait se demander pourquoi une telle « méchanceté » de la part de l’Union européenne à vouloir détruire les salaires et l’emploi ? Ce qui est certain, à première vue, c’est la réalité qui démontre que la zone euro est celle au monde qui connaît les records de chômage et de bas salaires. La question est maintenant de savoir pourquoi. Là encore la raison est simple : la pression sur les salaires permet soi-disant d’assurer la « compétitivité » des entreprises sur le marché international en proposant des prix toujours plus bas que ceux des concurrents. Mais, d’un autre côté, en comprimant les salaires, la demande intérieure est freinée et le chômage encouragé. Les classes dominantes, rappelons-le, ont besoin d’un fort taux de chômage pour discipliner le salariat et faire pression sur les salaires. Ceci explique pourquoi la zone euro est celle, à l’échelle mondiale, qui connaît la croissance économique la plus faible, la progression des salaires la plus lente et le taux de chômage le plus élevé, notamment pour les jeunes.

Pour les classes dominantes, le système de l’Union européenne est un formidable verrou fermant aux peuples des pays membres tout espoir de voir leur sort s’améliorer. Il est donc urgent d’imposer la restauration de la démocratie et donc le retour à la souveraineté nationale par la sortie unilatérale et immédiate du système de l’Union européenne et de l’euro.

A.- L’euro, monnaie rigide, ne peut s’adapter aux situations variées des différents États du système de l’Union européenne

L’interdiction de toute politique monétaire propre dans quelque pays du système de l’UE ne permet pas de lutter contre le chômage, d’agir pour le développement, et oblige de fait tous les pays à soutenir l’euro au bénéfice exclusif de l’Allemagne et à leur propre détriment[1].

Habituellement, les pays connaissant un déficit de leur balance des paiements (différence entre la valeur totale des marchandises, services et capitaux qui entrent et qui sortent du pays) utilisent l’outil classique de la dévaluation. Cela permet de baisser les prix à l’exportation et, de fait, de les augmenter à l’importation. On revient alors à l’équilibre entre importations et exportations. On ne consommera pas davantage que l’on ne produit, on éliminera cette dette commerciale infiniment plus grave que la dette publique. Comme la monnaie unique interdit ce mécanisme, les pays ayant un déficit de leur balance des paiements (comme la France et tous les autres membres de l’Union européenne, sauf l’Allemagne et une poignée de pays de la zone mark) organisent la déflation salariale. Autrement dit, ils organisent une énorme pression sur les salaires et la protection sociale pour obtenir un résultat similaire à celui d’une dévaluation : des prix « compétitifs », donc les plus bas possible. C’est pourquoi, structurellement, par nature, l’euro est l’ennemi de l’emploi et des salaires pour les salariés évidemment, mais aussi pour les agriculteurs, artisans et PME.

L’euro « fort » divise l’Allemagne (qui y a intérêt), et les autres pays (qui cherchent à le faire baisser). N’y parvenant pas, ils écrasent les salaires et l’emploi, délocalisent, transforment l’euro en rouleau compresseur de la protection sociale pour être « compétitifs ». Une politique monétaire unique s’est appliquée à des situations nationales différentes. L’euro confirme toutes les tares qui avaient été dénoncées par ceux qui avaient défendu avec justesse le NON à la monnaie unique lors des référendums sur le traité de Maastricht en 1992 et sur la Constitution européenne en 2005.

L’euro n’avait pas qu’une vocation monétaire, il était un prétexte pour forcer la main aux États et les contraindre à s’engager dans une voie fédéraliste. Il devait être la pièce centrale de la « dictature » des marchés financiers et de l’instauration d’un ordre monétaire néolibéral. La Banque centrale européenne (BCE), échappant à tout contrôle démocratique, l’euro était conçu comme vecteur de l’accélération de la circulation du capital au service exclusif des intérêts des classes dominantes.

La sortie de l’euro est la condition nécessaire à des politiques favorables au peuple, même si elle n’est pas suffisante. Il ne peut donc y avoir de politique favorable à la population avec l’euro. Avec la monnaie unique, une politique économique répondant aux besoins du peuple n’est pas possible puisque la politique monétaire, via la BCE, est statutairement indépendante de tout pouvoir politique et donc de toute pression démocratique. Si la BCE est hors de tout processus démocratique, elle est en revanche dépendante des puissances financières. Elle est uniquement dirigée par des agents directs des marchés financiers, tous imbibés de néolibéralisme.

Comment parvenir à mener une politique favorable au peuple, alors que l’élément le plus important de la politique économique – la politique monétaire – resterait contraint par les conceptions néolibérales imposées par le traité de Lisbonne ? Comment briser ce que certains appellent la dictature des marchés financiers alors que ces derniers resteraient maîtres de la Banque centrale ? Sortir de l’euro, c’est sortir de l’ordre monétaire néolibéral. C’est redonner au peuple, dans la Nation, le contrôle de la politique monétaire. C’est rendre de nouveau possible une politique économique digne de ce nom. Un Gouvernement voulant défendre les intérêts de la population ne pourra pas y parvenir si la politique monétaire reste aux mains de la BCE. Sortir de l’euro de manière unilatérale et immédiate est la condition absolument nécessaire, indispensable, urgente pour pouvoir mener une politique favorable aux classes populaires et moyennes.

B.- Avec l’euro, les économies européennes se mènent une concurrence destructrice par la baisse des salaires

Dès lors les gains de productivité ne peuvent pas être répartis pour toute la société, y compris à l’échelle de la zone euro. La possibilité des dévaluations et du protectionnisme national est systématiquement caricaturée comme un instrument de concurrence, d’autarcie, voire de guerre européenne. C’est pourtant la seule possibilité pour permettre une coopération économique et commerciale internationale, hors de la concurrence obligatoire des traités de « libre-échange ».

Car battre monnaie signifie la possibilité de définir une politique monétaire qui servira à financer la politique économique. Comment un Gouvernement favorable au peuple pourrait-il accepter la dictature monétaire exercée actuellement par les marchés financiers qui, en rendant indépendantes les banques centrales des pouvoirs publics, les ont en réalité retirées des mains du peuple ? Refuser de sortir de l’euro, c’est refuser de redonner le pouvoir monétaire au peuple. La monnaie et la politique monétaire font partie d’un ensemble plus vaste qui est celui de la politique économique qui doit être reprise en main par l’État.

Un programme visant à rétablir la souveraineté nationale doit réunir les conditions nécessaires pour que cette tentative réussisse. Un certain nombre de stratégies doivent être écartées car elles conduiraient presque certainement à l’échec. On entend parfois qu’il faudrait, une fois parvenu au pouvoir, activer l’article 50 du traité de Lisbonne, article « autorisant » un pays membre de l’Union européenne à la quitter. Cette tactique d’attente serait mortifère et plongerait le pays dans le chaos, car une France qui promettrait la rupture en demandant l’accord de 28 autres pays, serait soumise à un environnement juridique et économique infernal et paralysant. La rupture de la France d’avec les institutions européennes ne pourra pas être similaire au Brexit du Royaume-Uni parce que la France est dans l’euro, pas le Royaume-Uni. Du succès ou de l’échec de la tentative française de s’extraire des institutions néolibérales découlera la poursuite ou l’arrêt de la mondialisation néolibérale. Toutes les forces de la mondialisation néolibérale seront donc mobilisées pour faire plier la France, ou à défaut faire s’écrouler son économie pendant le laps de temps où elle n’aurait pas encore effectué les mesures qui la rendront relativement étanche aux déstabilisations juridiques, monétaires, financières et commerciales (pour ne pas parler des plus officieuses).

Une méthode qui ne prendrait pas en compte le facteur temps serait donc forcément perdante et nous promettrait un gigantesque retour de l’impasse que la France a connu en 1981-1982, celle de la fausse rupture, trahissant encore une fois l’espoir né d’un rapport de force pourtant gagnant. Une situation qui serait même pire, la configuration du capitalisme mondialisé étant aujourd’hui bien plus défavorable aux classes dominées qu’elle ne l’était au début des années quatre-vingt.

Dans le cas de l’élaboration d’une nouvelle Constitution, il faudra tout simplement ne pas mentionner le système de l’Union européenne et tout ce qui s’y rattache.

Depuis plusieurs décennies, nos sociétés perdent ainsi, peu à peu, leur caractère politique. Autrement dit, les choix ne résultent plus de la délibération collective, libre, sanctionnée par un vote direct du peuple ou de ses représentants (les députés). Des domaines parmi les plus importants de la vie de la société ont été retirés de la possibilité même du débat. À la place, des normes ont été imposées à la société par un matraquage médiatique continu, dans tous les domaines : idéologie, mœurs, économie, politique, environnement… Ces normes fournissent des réponses prédéterminées, immuables et prétendument incontestables à toutes les questions qui peuvent se poser relativement aux choix publics. Cette situation résulte d’une volonté délibérée des classes dominantes d’empêcher que des Gouvernements puissent prendre des décisions contraires à leurs intérêts. Tel est le rôle de l’idéologie néolibérale qui a « fabriqué » la mondialisation néolibérale.

C.- La zone euro ne pouvait être qu’un échec car elle n’était pas « optimale » à sa création

Dans les années 1960 et 1970, des économistes, à partir des travaux du Canadien Robert Mundell, ont défini ce qu’ils ont appelé une « zone monétaire optimale » (ZMO). Cette expression désigne un ensemble de pays ayant décidé d’abandonner leur monnaie nationale pour partager une monnaie unique. Pour ces économistes, une zone monétaire est « optimale » si elle présente des avantages par rapport à la monnaie nationale. Ils ont donc élaboré des critères de réussite pour qu’une zone monétaire soit « optimale ». nous pouvons citer les quatre principaux :

1)- Il faut un accord politique entre les pays concernés, en particulier sur les priorités macroéconomiques à mettre en œuvre. Dans les faits, il n’y a jamais eu d’accord politique, sauf sur la libéralisation de tous les secteurs, c’est-à-dire l’inverse de toute volonté politique puisqu’on laisse faire le marché.

2)- Il faut des structures économiques assez proches entre les pays, une certaine homogénéité des niveaux de développement. Les écarts étaient trop importants, une politique monétaire unique appliquée à des situations économiques très différentes ne pouvait donner de bons résultats.

3)- Il faut la mobilité géographique des facteurs de production. Certes, la mobilité des entreprises par les délocalisations et celle des capitaux a été acquise d’emblée. Mais qui pouvait croire que la main-d’œuvre allait suivre ?

4)- Il faut un budget central élevé et des mécanismes de redistribution. Aucun pays membre ne souhaite augmenter le budget de l’Union européenne.

Si l’on additionne ces conditions de réussite et les critères de Maastricht conditionnant l’entrée dans la zone euro, seuls trois pays pouvaient fonder l’euro à la fin des années 1990 : l’Allemagne, la France et les Pays-Bas. Dans un deuxième temps, trois autres pouvaient être qualifiés : l’Autriche, la Finlande et la Suède.

Pour les oligarques européens, il était impossible politiquement de lancer l’euro à trois ou même à six pays. Il fallait une certaine masse critique dès le départ, seule susceptible d’entretenir la fiction de la monnaie unique comme contrepoids au dollar.

Les oligarques européens ont donc organisé une véritable rafle pour faire entrer le maximum de pays dans la zone euro. Ils n’avaient que des raisons politiciennes, et ont camouflé cette manœuvre derrière l’argument inventé pour l’occasion selon lequel l’union monétaire entraînerait l’union politique et la convergence des économies.

C’est exactement l’inverse qui s’est produit : l’union monétaire a provoqué la désunion politique et l’aggravation des divergences économiques. Il n’y a pas lieu d’être surpris. Du coup, les pays qui se trouvent placés derrière les premiers, en termes de parts de marché, ne peuvent pas rattraper leur retard par les mécanismes de la concurrence en faisant valoir leur excellence, mais par un avantage concurrentiel artificiel sur les prix et donc sur les salaires. Conséquences : une pression permanente sur les salaires qui entrave la consommation et la croissance économique, des fonds publics détournés de leur vocation sociale pour « aider » les entreprises, l’augmentation du chômage et les politiques d’austérité.

La zone euro n’était donc pas optimale au moment de sa création, elle l’est encore moins aujourd’hui, les déséquilibres s’aggravent entre pays.

Ces déséquilibres provoquent l’austérité et des tensions politiques croissantes entre pays et peuples. La zone euro n’a pas développé les convergences entre les économies, elle a aggravé les écarts. La sortie de l’euro et de l’Union européenne permettra d’anticiper l’explosion inéluctable de la zone euro et la dislocation prévisible de l’Union européenne.

N’ayons aucun doute, la zone euro va exploser et l’Union européenne se disloquer. Personne ne peut dire quand ni comment, mais cela va se produire. C’est d’ailleurs pour cela, entre autres, qu’il est plus raisonnable d’organiser la sortie de l’euro et de l’Union européenne à froid, en réfléchissant aux différentes hypothèses, plutôt qu’à chaud à l’occasion d’une nouvelle crise.

D.- La politique allemande de l’euro fort encourage la stagnation économique et sociale et l’austérité dans les autres pays de la zone

Il faut se séparer de l’Allemagne car il existe désormais une nouvelle question allemande, celle de sa tentation impériale. Affirmer que les dirigeants allemands cherchent à transformer l’Europe en Europe allemande n’est ni excessif ni insultant. C’est la réalité. En Allemagne même, des voix de plus en plus nombreuses s’inquiètent de cette évolution. C’est le cas, par exemple, du sociologue et philosophe Ulrich Beck[2] qui s’interroge sur « une Allemagne qui a cessé d’être la plus européenne des Européens et qui préfère minimiser ses alliances et ses obligations dans le cadre de l’Union ; une Allemagne qui caresse un avenir de ‘‘Grande Suisse’’ ou de ‘‘Petite Chine’’ (des excédents extérieurs avec une demande intérieure limitée[3] ».

Il est vrai que la stratégie suivie par les élites économiques et politiques allemandes, des Verts aux libéraux, en passant par les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates, est clairement celle de la restauration de la puissance allemande. Leur pari est de tenter tout à la fois de rester clairs sur la condamnation du passé nazi de leur pays, tout en cherchant les voies pour donner à l’Allemagne la puissance que leur semble justifier son histoire, son poids démographique et économique, sa localisation géographique. Et peut-être aussi son sentiment de supériorité. Cette stratégie utilise l’Union européenne et l’euro comme le vecteur de la construction de cette puissance. Cette perspective, cependant, n’est pas simplement celle de la puissance. Elle est une tentation impériale. Telle est le sens de l’évolution allemande depuis la chute du Mur de Berlin.

Joschka Fischer, le Vert qui a été ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier, s’alarme maintenant de cette stratégie de madame Merkel à laquelle il a pourtant donné la première impulsion : « Il n’est plus possible d’ignorer le changement fondamental d’orientation stratégique de la politique européenne de l’Allemagne. Objectivement, la tendance est à une ‘‘Europe allemande’’, un choix qui n’a aucune chance de succès[4] ». En s’érigeant comme modèle de vertu et de rigueur, les dirigeants allemands considèrent que leur pays est le seul capable de porter ces valeurs. Et ils en ont conclu que ce serait à l’Allemagne de diriger l’Europe.

La politique initiée par Gerhard Schröder et poursuive jusqu’à Angela Merkel correspond à l’application d’une stratégie d’exploitation de ses voisins (appelée en langage économique « stratégie du passager clandestin »). L’Allemagne deviendra ainsi le premier exportateur mondial de marchandises de 2003 à 2008, devancée depuis 2009 par la Chine. Fin 2018, la balance des paiements courants de l’Allemagne était excédentaire sans discontinuer depuis 2001, avec un excédent culminant à 250 milliards d’euros. Parallèlement, pour ne prendre que quelques exemples, la France, le Royaume-Uni et l’Italie étaient devenus chroniquement déficitaires. Ce sont les branches de l’automobile, des machines-outils, de l’électronique, de la chimie-pharmacie qui tirent les exportations allemandes.

La stratégie des grandes entreprises allemandes, soutenue par les Gouvernements successifs, a été de développer l’importation d’entrants bon marché en provenance des Pays d’Europe centrale et orientale (PECO), zone d’influence traditionnelle de l’Allemagne. Cette stratégie a permis à l’industrie allemande de réaliser un véritable tour de passe-passe. Elle a pu offrir des produits d’exportations très compétitifs, bénéficiant de l’image de marque associée au Made in Germany malgré leur peu de contenu en travail allemand.

Le poids des importations allemandes de biens intermédiaires fabriqués dans des pays à bas salaires et à monnaies faibles apparaît spectaculairement. Il passe de 4 % à 16 % entre 1991 et 2006. Par exemple, en 1995, les exportations allemandes contenant une quote-part de valeur ajoutée étrangère représentaient 31 % des exportations. Elles sont montées à 40 % en 2000 et à 45 % en 2006.

Partant de niveaux identiques, la France et le Royaume-Uni n’atteignent que 8 % en 2006. Ce résultat tient aux liens étroits tissés par les dirigeants allemands avec les pays d’Europe centrale et orientale, favorisés par l’élargissement de l’Union européenne qui, en fait, était conçu pour cette raison. Mais c’est le taux de change de l’euro d’une part avec le dollar, d’autre part avec les monnaies des PECO, qui sera décisif.

Contrairement à un mythe bien entretenu, les exportations allemandes ne correspondent à aucun progrès technologique ou industriel. Sur la période 1998-2009, la valeur ajoutée manufacturière allemande a stagné en valeur, alors que les exportations augmentaient de 74 %. Par quel miracle ? Parce que l’Allemagne exporte des importations !

Si on prend maintenant la part de marché de l’Allemagne au sein de la zone euro, elle s’est accrue au détriment des autres membres de l’UE. Dans le même temps, la part de la France et celle de l’Italie baissait sévèrement. Et cette situation risque fort de s’aggraver.

Dans le commerce intra UE-27, entre 1995 et 2009, l’Allemagne passe de 25 % à 27 % de part de marché, la France de 19 % à 13 %, et l’Italie de 17 % à 10 %.

Déficitaire avec les BRIC (-20,8 milliards en 2009), l’Allemagne est obligée de se concentrer sur l’Union européenne et particulièrement sur la zone euro.

Face à l’euro fort, les exportateurs, dont les Français, se sont engagés dans une politique de compression de leurs coûts pour préserver leurs parts de marché, condition du maintien de leurs profits. Les salaires et l’emploi ont été particulièrement visés et ont joué le rôle de variable d’ajustement. Les importations massives, par l’Allemagne, de biens intermédiaires venant de pays à monnaie faible, et la structure des exportations qui en découle, pénalise tous les autres pays de la zone, notamment lorsque l’euro s’apprécie. Si l’euro s’apprécie de 10 % face au dollar, les entreprises françaises sont contraintes de baisser leurs prix d’environ 5 %, alors qu’une baisse de 1 % suffit aux entreprises allemandes pour rester compétitives.

L’industrie allemande, de son côté, est finalement peu pénalisée par un euro fort, car les exportations allemandes vers les pays hors zone euro restent minoritaires. Elle est même favorisée pour ses achats de biens d’équipement dans les pays à monnaies faibles. En 2009, les exportations allemandes se sont dirigées à plus de 43 % vers les pays de la zone euro et à moins de 6 % vers la Chine. Par ailleurs, une étude a montré qu’en 2007 les exportations allemandes étaient facturées en euro pour 79 %, contre 18 % pour le dollar, essentiellement à cause de la facture pétrolière. Ce poids de l’euro tient au fait que la facturation au sein de l’Union européenne avec les pays qui ne sont pas membres de la zone euro se fait en euros et pas en dollars.

L’importance de l’excédent commercial allemand vis-à-vis de ses partenaires européens correspond à une structure des échanges de type néocolonial. Au sein de l’UE, on observe par conséquent des relations inégales de type Centre-Périphérie « entre l’Allemagne et ses partenaires, à l’instar d’une métropole et de ses colonies dans un Empire[5] ». C’est la Banque de France qui le dit !

Beaucoup, en Europe, souhaiteraient que l’Allemagne freine ses exportations et développe sa demande intérieure afin de mener une politique coopérative. La classe dirigeante allemande n’est pas du tout prête à remettre en cause sa stratégie de domination. Comme elle est persuadée que la dégradation de la situation économique allemande dans les années 1990 a été provoquée par des salaires trop élevés et un système social trop généreux, elle ne veut pas remettre en question sa stratégie de délocalisation et de déflation salariale, ni organiser de relance par la dépense publique.

En même temps que les délocalisations, et de manière complémentaire, le deuxième volet de la stratégie des dirigeants allemands pour imposer leur domination économique par les exportations dans la zone euro a consisté à organiser une vaste déflation salariale. Les dirigeants allemands ont compressé la masse salariale pour réduire les coûts de production. L’absorption de l’Allemagne de l’Est explique en partie cette politique. Comme les autres pays membres de la zone euro, l’Allemagne n’a pas pu dévaluer sa monnaie pour absorber le choc de la réunification. La variable d’ajustement a donc été les salaires. Ainsi la part des salaires dans la valeur ajoutée a fortement baissé en Allemagne, passant de 65,4 % en 2003, à 62,2 % en 2007, alors qu’elle restait stable en France et en Italie. Le but était de baisser les prix des produits afin de gagner des parts de marché à l’exportation vis-à-vis des autres pays partageant la monnaie unique.

Comme, avec l’euro, il n’est plus possible de dévaluer la monnaie, ce sont les salaires qui l’ont été, l’euro ayant d’ailleurs été conçu notamment pour cette raison. Certes, les innocents objecteront que c’est une politique contraire aux principes officiels avancés pour justifier la monnaie unique puisque celle-ci, précisément, visait à empêcher les dévaluations. C’est vrai. Mais, précisément, ce discours était destiné aux innocents. Les dirigeants allemands, par ce comportement agressif vis-à-vis de leurs partenaires de la zone euro, ont donné de leur pays l’image d’un anti-modèle. L’acharnement des dirigeants allemands à soumettre le salariat de leur pays et à lui imposer une cure d’austérité dure depuis une vingtaine d’années.

Les inégalités ont ainsi explosé en Allemagne. En 2000, les 20 % des Allemands les plus riches gagnaient 3,5 fois plus que les 20% les plus pauvres. En 2007, ce ratio est passé à 5. Ce résultat est supérieur à la moyenne européenne. La proportion de pauvres en Allemagne qui était de 10 % en 2000, passe à 15 % en 2007 (elle est de 13 % en France). Au total, l’Allemagne est le pays développé où la pauvreté et les inégalités se sont les plus accrues entre 2000 et 2007.

S’il existe des exportations allemandes, c’est parce qu’il existe de la consommation dans les autres pays de la zone euro. Si les autres pays de la zone euro se mettent à faire comme l’Allemagne et à restreindre leur consommation, tout explose ! La compression des dépenses publiques allemandes et des coûts unitaires de la main-d’œuvre ainsi que l’offshore outsourcing[6] n’ont été possibles que parce que les autres pays n’appliquaient pas une politique similaire. Ce que font les dirigeants allemands, par définition, ne peut être un modèle. Si d’autres pays procédaient de la même manière ce serait un jeu à somme nulle, puisque pour exporter il faut des importateurs. Si tout le monde exporte pour gonfler ses excédents commerciaux, qui seraient les importateurs ?

Les pays de la zone euro ayant un déficit commercial avec l’Allemagne, particulièrement la France, sont menacés à terme d’un défaut de paiement dans les pires conditions. Pour éviter l’effet domino, ce sont tous les pays déficitaires qui doivent redresser leur balance des paiements vis-à-vis de l’Allemagne. Autrement dit, 7 % à 8 % du PIB allemand doit repartir vers les pays déficitaires de la zone euro. Rappelons qu’après le Traité de Versailles en 1919 les réparations demandées à l’Allemagne représentaient 10 % de son PIB. Un tel rappel risque de susciter une réaction négative des citoyens allemands. C’est pourquoi la question est de savoir qui, à l’intérieur du PIB allemand, du capital ou du travail, devra payer ces 7 % ou 8 % ? C’est évidemment le capital puisque c’est lui, et lui seul, qui a profité des politiques suivies.

Il faut montrer aux travailleurs allemands qu’il est de leur intérêt de mettre fin à ces excédents commerciaux, car ils permettront le développement de la consommation intérieure et la reprise de l’emploi en Allemagne. Il faut leur montrer que les plans d’austérité qui écrasent les pays d’Europe vont réduire la demande de ces pays, et donc réduire à terme les excédents commerciaux allemands dans les pires conditions. Et donc provoquer du chômage en Allemagne. Il est de l’intérêt des travailleurs allemands de mettre un terme à l’excédent commercial de leur pays.

La stratégie des dirigeants allemands, de déflation salariale et de délocalisation de la production dans les pays de l’Est, afin de gagner en compétitivité, écrase les autres pays en enfonçant leurs balances commerciales. L’euro « fort », contrôlé par la classe dominante allemande, interdit le progrès des exportations hors de la zone euro. Tout cela rend l’euro fort, c’est-à-dire cher, trop cher.

Les entreprises européennes sont alors poussées à baisser sans cesse leurs coûts salariaux d’un côté, tandis que d’un autre côté l’euro pousse à la baisse de la fiscalité sur le capital, affaiblissant les finances publiques.

E.- L’euro a placé volontairement les États sous le contrôle des marchés financiers

Les soubassements théoriques de la création de l’euro sont exposés dans l’article 120 du traité de Lisbonne : « Les États membres et l’Union agissent dans le respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, favorisant une allocation efficace des ressources… ».

On retrouve dans les termes « allocation efficace des ressources » la théorie de l’ «  efficience des marchés financiers » qui constitue la justification « théorique » de la mise en œuvre de l’euro et de la politique monétaire appliquée par la Banque centrale européenne, en conformité avec les traités qui contiennent ses statuts.

Selon cette théorie, rien n’est plus urgent que de développer les marchés financiers et de les faire fonctionner sans « entraves », c’est-à-dire avec le minimum de réglementation. La raison ? Ils seraient (contrairement à l’État) le seul mécanisme d’ « allocation » efficace du capital.

Autrement dit, ils seraient capables de distinguer les « bons » projets à financer (ceux qui rapportent le plus) en évitant à coup sûr les gaspillages de ressources financières. Toutes les politiques menées par l’Union européenne reposent sur cette affirmation, que toute la réalité des processus économiques concrets vient contredire.

A vrai dire il ne s’agit pas d’une affirmation scientifique, mais d’un dogme fait pour déconstruire pseudo-théoriquement la pertinence de toute politique économique, et vieille comme le libéralisme économique. C’est pourquoi la « libéralisation » des marchés de capitaux a été organisée en Europe afin de construire un marché financier mondialement intégré et libre de toute entrave étatique, et donc politique.

Les élites europiomanes persistent à croire – ou font semblant de croire -, malgré les crises à répétition, que les marchés financiers sont toujours le seul mécanisme efficace d’allocation du capital. Inutile d’aller chercher ailleurs une réponse simple à la cause de leur aveuglement ou de leur duplicité : pour elles, les marchés financiers ont la primauté absolue sur toutes les autres politiques, notamment sociales. Tel est leur crédo.

Les traités, en interdisant aux banques centrales de prêter directement aux États les ont livrés, en toute connaissance de cause, aux marchés financiers. Dès lors la zone euro attire la spéculation, l’euro étant devenu la variable d’ajustement du système monétaire international : c’est la monnaie dont on se débarrasse en fonction de la conjoncture.

Conséquence : une volatilité accrue de l’euro qui perturbe les agents économiques. Quelle belle confirmation du marché comme allocation optimale des ressources, s’il en fallait encore une, après plus de deux siècles de démenti continuel !

La sortie de l’euro et de l’Union européenne permettra de se protéger des nuisances des marchés financiers

L’ouverture totale des marchés de capitaux ne pouvait aboutir à un résultat différent de celui que nous avons aujourd’hui sous les yeux. L’euro a été le vecteur et l’amplificateur de cette circulation effrénée des capitaux.

Le Conseil européen extraordinaire tenu à Lisbonne en mars 2000, signé par Jospin et Chirac, avait rappelé la doctrine européenne : « Des marchés financiers efficaces et transparents favorisent la croissance et l’emploi en permettant une meilleure allocation des capitaux à un moindre coût ».

La création et le développement des marchés financiers résultent entièrement d’un choix politique et non d’une fatalité économique. L’Union européenne et l’euro ne sont pas victimes de la mondialisation et de la globalisation financière – et encore moins un bouclier pour s’en protéger -, ils en sont les co-auteurs.

Tout ce qui est appelé la « construction » européenne – et que l’on devrait appeler en réalité la déconstruction européenne – a été subordonné à ce but. Il fallait attirer vers les marchés financiers européens les capitaux cherchant à l’échelle planétaire une rentabilité maximale à très court terme. C’est pourquoi les taux d’intérêt sur les obligations d’État sont plus élevés en Europe que ceux des États-Unis.

Certes, les capitaux ont afflué dans la zone euro, mais comme leur rentabilité était supérieure à la rentabilité des investissements productifs, ils sont allés à la spéculation. Le taux d’investissement a baissé, encourageant les délocalisations et le chômage.

La crise de 2007-2008-2009 a clairement montré l’absurdité de cette théorie de l’efficience des marchés financiers. Heureusement que les États étaient là, avec l’argent public des citoyens, pour sauver les banques de la faillite ! Pourtant les oligarques européens n’en ont tiré aucune leçon.

Un tel système ne peut pas changer d’essence. Il ne peut pas s’améliorer de l’intérieur. Il faut sortir du sado-monétarisme.

[1] Jacques Nikonoff, Sortons de l’euro ! Restituer au peuple la souveraineté monétaire, Mille et une nuits, 2011.

[2] Sociologue et philosophe allemand.

[3] Le Monde, 12 avril 2010.

[4] Joschka Fischer, « L’échec de l’euro serait un désastre », Le Figaro, 13 décembre 2010.

[5] Bulletin de la Banque de France, n° 173, Mai-juin 2008.

[6] Externalisation d’activités vers les pays à bas salaires (délocalisation).


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4 commentaires sur “Livre blanc constituant 1.0 chapitre 5 – L’euro, arme de destruction massive des salaires et de l’emploi”

  1. Bonjour,

    Merci de votre commentaire. En effet, avant de lancer une monnaie unique, il aurait créer les conditions d’une « zone monétaire optimale ». Pas pour créer une monnaie unique mais une monnaie commune, consacrée au commerce international, permettant de conserver les monnaies nationales. Quant à souhaiter une entité politique unique à la tête de l’UE, je ne vous suivrais pas sur ce terrain !

    Cordialement.

    Jacques Nikonoff

  2. L’€ était un piège Maastrichtien, la zone euro aurait du d’abord être mise en situation de zmo, puis l’€ en être la monnaie unique, sinon, les monnaies nationales devaient demeurer jusqu’à au moins obtenir une entité politique unique à la tête de l’UE.

  3. Bonjour,

    Merci de votre commentaire dont je partage entièrement la teneur. C’est une raison supplémentaire pour nous engager dans une dynamique populaire constituante afin de changer de régime politique grâce à une nouvelle Constitution enfin démocratique.
    Jacques Nikonoff

  4. Bonsoir ! Combien d’indignations, combien d’écrits de personnalités respectables faudra-t-il encore pour que les citoyens soient persuadés que la solution est, comme en 1789, en 1936, à nouveau entre leurs mains ?
    Le conditionnement médiatique est devenu insupportable parce que dangereux pour notre démocratie et pour la paix.
    L’assassinat du professeur, comme l’épidémie de Covid-19 a, à nouveau, déclenché un déluge de discours plus volontaristes les uns que les autres. Mais qui gouverne de plus en plus les états depuis 40 ans ? Les décisions d’ordre socio-économique importantes échappent totalement aux gouvernements. La financiarisation de l’économie, favorisée avec obstination par les directives européennes depuis le traité de Maastricht, a entraîné les conséquences que l’on sait sur le creusement des inégalités, un phénomène indigne du XXIe siècle !
    https://www.boursier.com/indices/graphiques/nasdaq-composite-XC0009694271,US.html – L’évolution des indices boursiers montrent à quel point les crises dont on nous rebat les oreilles pour nous faire accepter sans cesse de nouveaux sacrifices, n’ont pas les mêmes conséquences pour la classe dirigeante. Les grosses fortunes ont profité des crises pour spéculer encore plus sur les écarts. Hartung ! Nous avons atteint les limites du supportable : « les comptes en banque ne sont pas comestibles ! »

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