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Livre blanc constituant 1 – chapitre 4 – Le système de l’Union européenne a pour but d’éliminer la démocratie

Livre blanc constituant 1
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8 août 2020 mise à jour le 7 décembre 2023

IV.- Le système de l’Union européenne a pour but d’éliminer la démocratie

Ceux qui regrettent ce qu’ils appellent « le déficit démocratique » de l’Europe se trompent ou font semblant de ne pas comprendre. Aucun « déficit » n’est à regretter, car c’est le système européen lui-même, par construction, qui est conçu pour faire taire les peuples afin d’imposer définitivement des politiques néolibérales favorables aux puissants. Quand on parle de l’Union européenne, d’ailleurs, le mieux est d’utiliser l’expression « système actuel de l’Union européenne ». La raison est la suivante : ce qu’il convient d’éliminer, c’est le système que nous avons en face de nous, contre nous, et non le principe d’une union entre les États européens, entre les peuples européens. Une union pour quoi faire ? Pour coopérer sur une base d’égalité, de réciprocité, de volontariat dans les domaines utiles à l’amélioration de la vie des peuples de notre continent. Et ceci en termes d’emplois, de salaires, de services publics, de qualité de la vie, d’éducation, de culture, de protection sociale, de démocratie, de préservation de l’environnement. Mais aussi de coopération internationale pour favoriser la paix, la souveraineté de chaque Nation, la possibilité pour chacun de vivre et travailler dans son pays sans être contraint d’émigrer, car il trouve chez lui la stabilité, le développement, l’espoir. Ajoutons que cette union des Nations européennes ne s’oppose pas, bien au contraire, à un système de coopération multilatérale et bilatérale avec les pays des deux rives de la Méditerranée et avec l’Afrique.

Autre point de repère : le terme « néolibéralisme », utilisé pour qualifier la nature de l’Union européenne, désigne une idéologie dont le principal fondateur est Friedrich von Hayek, un économiste autrichien des années 1930 qui a émigré en Angleterre et aux États-Unis pour fuir le régime hitlérien. L’ancien Premier ministre Édouard Philippe s’est d’ailleurs publiquement revendiqué de lui début mars 2019. Cette idéologie néolibérale sert à anesthésier les esprits en se présentant comme naturelle, ou même scientifique, afin de pouvoir mener en toute tranquillité, car sans contestation efficace, des politiques économiques et sociales exclusivement favorables à l’hyperclasse (les 0,01 % et les 0,1 %…).

Les premiers à mettre en œuvre de telles politiques ont été le dictateur Augusto Pinochet au Chili à partir de 1973, après l’assassinat du président de la République légalement élu, Salvador Allende. On trouve ensuite Thatcher (1979) et Reagan (1980) respectivement en Grande-Bretagne et aux États-Unis, suivis en France par Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron.

Quelles sont les raisons qui conduisent à affirmer que le système actuel de l’Union européenne est une tyrannie qui sert à éliminer la démocratie afin d’interdire aux peuples toute possibilité de mettre en place des régimes politiques qui défendent leurs intérêts ? Il y a trois raisons.

A.- La construction européenne, dès le départ, s’est inspirée de l’idéologie néolibérale faite par et pour la classe dominante, les ultras riches

Ce sont les travaux d’une poignée d’intellectuels conservateurs américains qui, dès l’entre-deux-guerres, ont élaboré un projet d’union européenne visant à rendre impossible toute alternative au néolibéralisme et à la domination américaine.

Bien sûr, ce n’est pas parce que quelques intellectuels américains élaborent un projet pour l’Europe que ce dernier va devenir réalité. C’est pourtant ce qu’il adviendra car ces intellectuels vont convaincre peu à peu la classe dirigeante américaine, économique, politique et médiatique, de la pertinence de leur vision. On peut déjà l’observer avant et pendant la Seconde Guerre mondiale.

1.- Il est possible de situer les débuts de la propagande en faveur d’une union européenne néolibérale au 26 août 1938

Ce jour-là, le journaliste américain vedette Walter Lippmann rassemble ceux qui souhaitent devenir « l’avant-garde intellectuelle du libéralisme économique militant[1] ». Y participent entre autres Friedrich von Hayek et Ludwig von Mises, son maître à penser, économiste autrichien comme lui. Tous les participants se trouvent d’accord pour désigner le « collectivisme » comme l’ennemi à abattre. Dans leur esprit, le « collectivisme » ne concerne pas seulement l’URSS depuis 1917. Il vise également l’expérience du New Deal en cours aux États-Unis depuis 1933, le Front populaire en France et en Espagne depuis 1936 et le Parti travailliste anglais, tout comme les régimes dictatoriaux allemand, italien et japonais de la fin des années 1930.

Ils veulent créer un centre international pour la rénovation du libéralisme, dont la mise en œuvre sera interrompue par la guerre. Ils reprendront leurs activités au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour populariser l’idéologie de Friedrich von Hayek, principalement à partir de la création de la société du Mont Pèlerin, première boîte à idées néolibérale dans le monde.

Voilà ce qu’y dit Friedrich von Hayek : « La fédération [européenne] devra posséder le pouvoir négatif d’empêcher les États individuels d’interférer avec l’activité économique ». Il ajoute : « Une fédération signifie qu’aucun des deux niveaux de gouvernement [fédéral et national] ne pourra disposer des moyens d’une planification socialiste de la vie économique ».

Ces propos sont très clairs : il faut briser les souverainetés nationales pour empêcher tout risque de socialisme. Dans leur esprit, encore une fois, leur notion de « socialisme » est extrêmement large puisqu’elle inclut Roosevelt et son New Deal, comme elle inclura la politique mise en œuvre en France à partir de la Libération de 1944 à 1948 et celle de Gaulle au début de la Ve République.

Pour l’instant, il ne s’agit que d’une agitation de quelques intellectuels conservateurs américains. Cette idéologie va néanmoins commencer à se diffuser parmi les élites économiques, politiques et gouvernementales américaines et européennes.

2.- Pendant la Seconde Guerre mondiale, le poids croissant de l’URSS et des mouvements de résistance communistes en Europe va inquiéter les dirigeants américains et britanniques qui vont commencer à s’intéresser aux théories néolibérales

Le Premier ministre britannique Winston Churchill, en octobre 1942, adresse un mémorandum à son ministre des Affaires étrangères dans lequel il écrit : « toutes mes pensées vont d’abord à l’Europe… mère des nations et de la civilisation actuelle. Ce serait une catastrophe terrible si la barbarie russe venait à détruire la culture et l’indépendance des autres États européens. Je tourne mes regards vers les États-Unis d’Europe[2] ». Ainsi les États-Unis d’Europe, dans l’esprit de Churchill, n’ont-ils d’autre objet que de diviser l’Europe entre l’est et ouest.

L’idée d’une « communauté Atlantique » est née bien avant 1949, date de création de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Elle est apparue aux États-Unis en 1943-1944, promue par Walter Lippmann, pour qui :

« Notre tâche principale doit consister à soutenir le régime européen contre la Russie après que l’Allemagne… aura cessé d’exister en tant que grande puissance de l’Europe occidentale. Le destin a prédéterminé… la position centrale de l’Amérique dans la civilisation occidentale. C’est de là que découlent fatalement les tâches essentielles de l’Amérique. L’ensemble des nations de l’ancien monde [pas celui de Macron mais l’Europe] surpasse en puissance les États-Unis. Cela oblige à réfléchir sur la nécessité de coalitions avec une série de pays de l’ancien monde, sur la création d’alliances sûres avec ses États ».

Le point de départ de la construction européenne ne repose donc pas, contrairement à la propagande grossière de Bruxelles et des grands médias, sur la recherche de la paix, l’affirmation d’un modèle social et l’indépendance par rapport aux grands blocs géopolitiques, mais exactement sur l’inverse. Le lancement de la construction européenne repose sur la création d’un ensemble hostile à l’URSS (on le voit aujourd’hui dans l’hystérie antirusse de l’Union européenne) ; sur la destruction du modèle social hérité de la Libération ; sur un alignement total sur les Etats-Unis et une idéologie fondamentalement antisociale et antidémocratique.

Les E.U. redoutaient aussi après la chute de l’URSS, surtout après le redressement de cette dernière sous l’ère Poutine, que les puissances européennes de l’Ouest, notamment l’Allemagne, se rapprochent économiquement de la Russie, pour des échanges commerciaux favorables aux deux parties, ce qui aurait affaibli leur puissance et contesté directement leur hégémonie.

B.- L’Union européenne, dès le début, a été façonnée pour répondre aux intérêts des États-Unis, pas à ceux des Européens

L’Union européenne est un instrument de la guerre froide, elle est atlantiste et agressive. Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis organisent les premières formes d’union européenne pour des raisons militaires, économiques et politiques.

1.- Deux exemples

a.- Le plan Marshall est utilisé par les Américains pour obliger les pays européens à l’union

Le plan Marshall est très connu en France, mais il est souvent présenté de façon fallacieuse. On nous explique que l’amour bien connu des dirigeants américains pour le genre humain les aurait conduits à « aider » les pays européens. Ce n’est pas tout à fait la réalité. Car en contrepartie de leurs prêts (qu’il faut rembourser, ce ne sont pas des dons ni une aide gratuite), les États-Unis veulent l’union douanière européenne et l’ouverture des marchés. Pourquoi ? Tout simplement pour y placer leurs marchandises et capitaux. Ils exigent d’ailleurs qu’une partie des prêts qu’ils accordent servent à acheter des marchandises américaines. Ils menacent ainsi en 1949-1950, de reconsidérer leurs prêts si l’intégration européenne ne progresse pas plus vite, et si la République fédérale d’Allemagne (RFA) n’y participe pas…

Le but des dirigeants américains est de reconstruire le capitalisme après la Seconde Guerre mondiale, sous leadership américain évidemment, pour faire face à l’URSS et pour écouler leurs produits grâce au libre-échange. Dans ce cadre, pour les dirigeants américains, des formes d’union européenne étaient indispensables pour :

  • Acheter la production de masse américaine au moment où il s’agissait de convertir l’industrie de guerre en industrie civile et d’offrir des emplois aux GI’s qui rentraient au pays.
  • Aider l’Europe à produire ses propres armements contre l’URSS et le bloc soviétique, les États-Unis d’Amérique ne pouvant tout faire.
  • Contrecarrer le communisme intérieur en Europe, particulièrement en France et en Italie.

Parallèlement, la CIA finance largement les mouvements pro-européens via l’ACUE (American Committee on United Europe). L’Europe est alors une zone d’intense activité pour les services secrets américains. Pour preuve, en 1952, la déclaration d’intentions du ACUE affiche trois objectifs[3] :

  • « Création d’un parlement représentant les États démocratiques et les peuples de l’Europe libre, avec des pouvoirs effectifs de législation ».
  • « Abolition des quotas douaniers intra-européens et du contrôle des changes ».
  • « Garantie uniforme des droits de l’homme et la création d’une Cour européenne pour les faire respecter ».
b.- La remilitarisation de l’Europe sous contrôle américain

Pour l’administration Truman, le président américain, l’unification de l’Europe occidentale est un élément central pour « endiguer » l’URSS et contenir les partis communistes, principalement au moyen d’une alliance militaire. C’est d’abord le traité de Bruxelles du 17 mars 1948, entre la France, le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, qui donne naissance à une Union occidentale qui préfigure l’Union de l’Europe occidentale. Puis ce sera le Pacte atlantique d’avril 1949 qui conduit à créer l’OTAN.

Les États-Unis imposent ainsi le réarmement occidental. Nous sommes loin de la croyance des bisounours à « l’Europe c’est la paix ». Avec le commencement de la guerre de Corée (juin 1950-juillet 1953), le plan Marshall change de nature. Dean Acheson, le secrétaire d’État américain, annonce en septembre 1950 aux ministres des Affaires étrangères français et anglais : « Je veux des Allemands en uniforme pour l’automne 1951[4] ». Jean Monnet proposera la Communauté européenne de défense (CED), créant une « armée européenne » intégrant des troupes allemandes. Cette CED serait dirigée par le commandement suprême de l’OTAN (américain). La France, heureusement, fait capoter ce traité, l’Assemblée nationale enterre la CED en août 1954 grâce aux gaullistes et aux communistes.

2.- La mascarade de la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA)

Les partisans du système politique appelé aujourd’hui à tort « Union » européenne se plaisent à fixer la date du début de cette opération au 9 mai 1950, avec la Déclaration Schuman, en réalité rédigé par Jean Monnet, qui annonçait la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Un mot sur ces deux personnages, souvent présentés comme les « pères fondateurs ».

Jean Monnet est d’abord un homme d’affaire et financier international navigant entre les États-Unis et la France, qui s’enrichit grâce à la contrebande d’alcool pendant la Prohibition (1919-1933). Pendant la guerre, il joue un rôle fondamental dans la coordination de l’effort de guerre entre les Etats-Unis de Roosevelt et la Grande-Bretagne de Churchill, et dans la mise en place du « Victory program » qui rompt avec la politique isolationniste américaine après avoir refusé de s’associer au lancement de la France libre de de Gaulle. Jean Monnet cherchera toujours à mettre des bâtons dans les roues du général de Gaulle. A propos de ce dernier, Monnet écrit d’ailleurs à Harry Hopkins, conseiller de Roosevelt : « Il faut se résoudre à conclure que l’entente est impossible avec lui ; qu’il est un ennemi du peuple français et de ses libertés ; qu’il est un ennemi de la construction européenne, qu’en conséquence, il doit être détruit dans l’intérêt des Français[5] ».

Robert Schuman est alors le ministre français des Affaires étrangères, ancien collaborateur du Régime de Vichy en qualité de sous-secrétaire d’État pour les Réfugiés dans le premier gouvernement Pétain. Le 10 juillet 1940, comme député de la Moselle, il vote pour les « pleins pouvoirs » au maréchal Pétain, ce qui devait lui valoir d’être frappé « d’indignité nationale » : crime créé en 1944 passible de la peine de mort. Cela concerne les gens qui ont « postérieurement au 16 juin 1940, soit sciemment apporté en France ou à l’étranger une aide directe ou indirecte à l’Allemagne ou à ses alliés, soit porté atteinte à l’unité de la Nation ou à la liberté des Français, ou à l’égalité entre ceux-ci » (Ordonnance du 26 décembre 1944).

Grâce à des appuis, Schuman échappe à l’épuration contre l’avis de résistants comme André Diethelm qui voulait que « soit vidé sur-le-champ ce produit [Schuman] de Vichy ». Malgré son lourd passé dans la Collaboration, il deviendra ministre des Affaires étrangère sous la IVe République au moment de la concrétisation du projet européen…

En réalité, c’est le 21 octobre 1949 que tout a commencé comme nous le révèlent les archives américaines concernant l’après-guerre qui se sont ouvertes il y a quelques années. Ce jour-là, le secrétaire d’État américain, Dean Acheson, qui vient de remplacer le général Marshall, convoque les ambassadeurs américains en Europe. Voilà ce qu’il leur dit :

« Par progrès vers l’intégration européenne, j’ai en tête, en tant qu’objectifs et engagements entre Européens, qu’ils décident le plus vite possible du calendrier pour créer des institutions supranationales opérant sur une base qui ne soit pas celle de l’unanimité pour s’occuper de problèmes spécifiques, économiques, sociaux et peut-être autres[6] ».

Il s’adressait alors personnellement dans un courrier à Robert Schuman, le 30 novembre 1949 (soit six mois avant la fameuse Déclaration), toujours selon les archives américaines, en lui écrivant ceci :

« Je crois que notre politique en Allemagne, et la mise en place d’un gouvernement allemand capable de prendre sa place dans l’Europe de l’Ouest, repose sur l’hypothèse d’un leadership de votre pays sur ces questions[7] ». Voilà la véritable origine du pseudo « couple franco-allemand » !

C’est donc le gouvernement américain qui a donné à Robert Schuman et à la France le feu vert pour lancer la CECA, et non les prétendus « pères fondateurs » de l’Europe, vulgaires agents américains comme Jean Monnet ou collaborateurs du régime de Vichy comme Robert Schuman.

Le 9 mai ne devrait donc pas être la « journée de l’Europe », mais une journée de deuil national pour la disparition de la démocratie.

La CECA est créée par le traité de Paris signé le 18 avril 1951 par six pays (République fédérale d’Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas), les Américains jouant un rôle essentiel durant la négociation. Jean Monnet est naturellement désigné comme président de la Haute Autorité de cette nouvelle institution.

Celle-ci est composée de « personnalités indépendantes », dont les décisions « lieront » les pays signataires et « seront exécutoires » dans leur législation. C’est donc déjà une institution supranationale dirigée par des « experts » non élus, comme par exemple aujourd’hui la Banque centrale européenne. Ce parfum antidémocratique a fait dire au Premier ministre britannique Attlee : « la démocratie ne peut abdiquer entre les mains de quelques personnes sensées compétentes, et dont les décisions peuvent comporter des conséquences sortant du cadre de leurs attributions et débordant largement sur le plan politique[8] ». En France, de fortes critiques viennent des gaullistes (contre la « technocratie » et l’abandon de la souveraineté) et des communistes (contre une trahison, un « cadeau aux industriels allemands »).

Monnet avait préparé dans le plus grand secret sa proposition d’union franco-allemande. Il était un adepte de la « compétence du technicien », au détriment du politique. La construction européenne va alors se bâtir hors des souverainetés nationales. La « méthode Monnet » repose ainsi sur un parti pris technocratique qui permet de contourner les voies démocratiques. Dans ses Mémoires, Jean Monnet[9] a employé une expression significative pour se désigner, lui avec ses collaborateurs : « le cercle des conjurés ».

De Gaulle va s’opposer à l’évolution fédéraliste de la Communauté économique européenne (CEE, préférant une « Europe des États », c’est-à-dire où les États conservent leur pleine souveraineté, mais sans succès. En 1965, pour protester contre un renforcement de la supranationalité, la France se retire pendant six mois des organisations de Bruxelles (politique de « la chaise vide »). De Gaulle met aussi deux vetos (1963 et 1967) à l’adhésion de la Grande-Bretagne, vue comme un cheval de Troie des Etats-Unis. De Gaulle redoute, à juste titre, une « Europe américaine ».

C.- L’Union européenne se fait par le marché, présenté comme la valeur suprême de ce système

L’Union européenne est antisociale par nature, car placer le marché au sommet des valeurs revient à ne s’intéresser qu’aux personnes solvables. C’est-à-dire les personnes qui ont suffisamment d’argent pour aller acheter des biens et des services sur les marchés.

Les autres citoyens seront méprisés, et même insultés comme les Méditerranéens par le ministre allemand des finances en 2015, Wolfgang Schäuble, au motif qu’ils ne produiraient aucun effort pour chercher du travail, se former, être productifs et compétitifs. Incultes et avinés, adeptes des loisirs, ils ne s’adonneraient qu’à la chasse aux aides sociales.

L’Europe sociale n’existe pas, elle ne pourra jamais exister dans le cadre du système actuel. Toute idée d’harmonisation sociale est et sera rejetée[10].

Quatre étapes marquent l’établissement progressif du marché total :

1.- Avec le traité de Rome en 1957, qui fonde le marché commun (la Communauté économique européenne), la construction européenne est fondée sur le marché

La construction européenne continue de se faire sans les peuples et même contre les peuples.

Signé le 25 mars 1957, le traité de Rome pose les principes du marché commun unifié : libre-circulation des marchandises, des travailleurs, des services et des capitaux (les « quatre libertés »). La Communauté économique européenne (CEE), comme on l’appelle à l’époque, est construite comme un instrument de libéralisation du commerce et des économies nationales. Les institutions communautaires n’existent que pour empêcher les États de contourner ou réguler le marché.

L’intégration européenne, qui repose avant tout sur le marché, implique la généralisation de la concurrence. Le marché européen, progressivement, va remettre en cause les règles nationales. L’Union européenne a été conçue pour contourner par l’extérieur (ou par le dessus) ce que les technocrates bruxellois appellent le « dirigisme des États-nations ». Fanatique du libre-échange, l’Union européenne ne déviera plus de sa vocation marchande.

Déjà, dans la déclaration Schuman du 9 mai 1950 (écrite en réalité par Jean Monnet), il s’agissait de proposer le marché commun comme l’étape décisive vers une fédération européenne.

La priorité européenne est que le marché ne soit pas entravé. Le traité de Rome prévoit un encadrement très strict de l’intervention des États dans leur économie. Néanmoins, jusqu’aux années 1970, la CEE laisse encore les États comme la France favoriser des concentrations industrielles sur le plan national et subventionner largement l’industrie, pour faire émerger des « champions nationaux ». Autrement dit, on déroge temporairement aux articles du traité de Rome sur la concurrence « non faussée ». Cela explique qu’on ait considéré comme un « âge d’or de l’État » les présidences de de Gaulle et Pompidou. Ainsi, à l’aube des années 1980, l’Europe de la concurrence était déjà en place, mais pas encore accomplie. Le marché commun avait conduit au démantèlement des droits de douane, mais des barrières non tarifaires existaient toujours.

2.- L’Acte unique (1986) vise à éliminer complètement les frontières physiques, fiscales et techniques, pour les biens, services, capitaux et personnes

Après le traité de Rome de 1957, l’Acte unique signé en 1986 par douze pays est le traité qui a vraiment accéléré la construction d’un marché unique.

C’est sous le gouvernement du Premier ministre socialiste Fabius à partir de 1984 que se réaliseront deux des transformations les plus structurantes et déterminantes pour le pays : l’accélération de la « construction » européenne, décisive pour la déconstruction des institutions politiques nationales afin de court-circuiter les processus démocratiques orientant la politique économique et sociale ; et la financiarisation de l’économie et des budgets publics.

Jacques Delors, « socialiste » en peau de lapin, sous l’impulsion de François Mitterrand, président de la République, commence à préparer, avec comme acolyte un autre socialiste impressionnant de socialisme, Pascal Lamy, l’Acte unique européen. Ce sera un traité européen essentiel, mettant en place le marché unique européen, basé sur la concurrence et ouvrant celle-ci aux importations mondiales et aux marchés financiers mondiaux.

Il donnera à la fois un coup de fouet à la mondialisation commerciale et financière, ainsi qu’à la construction d’un ordre institutionnel brisant tous les processus démocratiques, soustrayant ainsi l’économie de la pression de ces derniers. C’est donc l’organisation méthodique à l’échelle du continent, par ces deux membres du PS, des piliers de la mondialisation néolibérale. Ils en deviendront d’ailleurs des dirigeants essentiels dans les institutions cardinales de cette dernière, Delors à la présidence de la Commission européenne et Lamy à la présidence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ajoutons un autre socialiste fameux, Dominique Strauss-Kahn, bien plus tard à la tête du FMI.

La libéralisation des mouvements de capitaux réalise une « Europe des financiers » car, en refusant toute harmonisation fiscale, elle impose la compétition fiscale entre les États : cette « loi des marchés » force les États à réduire leurs marges de manœuvre budgétaires, mais remet aussi en cause les systèmes de redistribution et de protection sociale.

L’Union européenne s’est forgée à coups de traités qui ont, pas à pas, détruit les souverainetés nationales et orienté la construction européenne dans une seule direction : celle de la liberté de circulation des marchandises, des capitaux, des services, de la main-d’œuvre et de la mise en concurrence des systèmes économiques.

3.- Le traité de Maastricht de 1992 lance l’union monétaire

Il a été signé par l’ensemble des douze États membres de la Communauté économique européenne à Maastricht (Pays-Bas), le 7 février 1992, et est entré en vigueur le 1er novembre 1993.

Le référendum sur le traité de Maastricht a eu lieu en France le 20 septembre 1992. Deux camps s’opposèrent. D’un côté le gouvernement favorable au OUI mené par François Mitterrand, le Parti socialiste et la droite de Jacques Chirac et Édouard Balladur ; d’un autre côté une partie minoritaire de la droite RPR avec Philippe Séguin et Charles Pasqua, le Parti communiste, certains socialistes (Jean-Pierre Chevènement) et Les Verts. Le OUI va l’emporter avec une faible avance : 51,04 % avec une forte propagande des médias dominants.

L’adhésion à la monnaie unique a un coût, ce sont les fameux « critères de convergence » : une inflation qui n’excède pas 2 %, un déficit public ne dépassant pas 3 % du PIB et une dette publique inférieure à 60 % du PIB. Impossible dès lors de mener des politiques contracycliques.

Les gouvernements perdent leurs marges de manœuvres en matière budgétaire. Depuis Maastricht, les critères de « convergence » économique – qui ont provoqué la divergence économique -, limitant les déficits publics et la dette, placent les États sous surveillance de la Commission et des marchés financiers. Les politiques budgétaires doivent respecter les canons néolibéraux.

Depuis les années 1990, les États se dépouillent de leurs attributions économiques au bénéfice du marché unique. On observe que c’est dans le même temps que les gouvernements nationaux s’enfoncent dans une crise de légitimité. Pour la masquer, les classes dominantes et leurs grands médias appellent « populistes » tous ceux qui rejettent le cercle de la raison européenne.

L’ordre néolibéral devient « sanctuarisé ». Les traités européens, dans leur définition des objectifs de l’Union, insistent en effet sur :

  • Le primat de la « concurrence libre et non faussée ».
  • Le libre-échange, censé correspondre à l’ « intérêt commun ».
  • L’interdiction de toute restriction aux mouvements de capitaux.

Le néolibéralisme économique est omniprésent. Celui-ci n’est pas présenté comme une idéologie, ce qu’il est en réalité, ni comme une option parmi d’autres, mais comme un « acquis communautaire ». Un ordre juridique européen autonome surpassant le droit national se met progressivement en place.

L’UE, pendant ce temps, n’a pas de politique macroéconomique de relance, de coordination, ou de politique industrielle. Il n’y a pas lieu d’en être surpris, puisque ce serait contradictoire avec sa politique de la concurrence et de libéralisation du commerce. Les pays doivent « employer les armes de la concurrence » (M. Barroso, ancien président de la Commission européenne).

De 1997 à 2002, la « Majorité plurielle » (ou « Gauche plurielle ») rassemble au Gouvernement le Parti socialiste (PS), le Parti radical de gauche (PRG), le Mouvement des citoyens (MDC), Les Verts et le Parti communiste français (PCF). Le Premier ministre est Lionel Jospin, le président de la République est Jacques Chirac. Jean-Luc Mélenchon est ministre de l’Enseignement professionnel de 2000 à 2002.

Rares sont les réalisations du Gouvernement Jospin qui répondent aux intérêts des classes populaires. En 2002 le passage à l’euro est avalisé par cette majorité, et notamment la direction du PCF en contradiction avec son vote négatif lors du référendum sur le traité de Maastricht en 1992.

4.- L’accélération provoquée par le traité de Lisbonne après la grande peur du référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005

Ce traité modifie le Traité sur l’Union européenne (Traité de Maastricht) et le traité instituant la Communauté européenne (Traité de Rome). Les vingt-sept États membres de l’Union européenne le ratifient et il entre en vigueur le 1er décembre 2009.

La tension est devenue plus nette en 2005, lorsque les Hollandais et les Français rejettent le Traité constitutionnel européen (TCE) par référendum à 55 %. Mais l’essentiel de son contenu est recyclé dans le traité de Lisbonne, qui est approuvé cette fois (très largement) en France par voie parlementaire. C’est le « coup d’État parlementaire » du 4 février 2008. En 2008, les Irlandais qui sont le seul peuple ayant l’obligation constitutionnelle de ratifier le traité de Lisbonne par référendum, votent NON : on leur impose un second vote en 2009, cette fois positif, après un pilonnage médiatique inouï. L’expression populaire s’avère systématiquement contournée quand elle n’est pas conforme aux attentes de la « gouvernance » européenne.

La violente crise des dettes publiques depuis 2011 a fourni un prétexte tout trouvé pour durcir cette logique avec le Pacte budgétaire européen (officiellement « traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance » – TSCG, 2012, surnommé « traité Merkozy » par ses opposants). Ce mécanisme a pour objectif de contraindre les États membres à plus de « discipline » budgétaire. L’idée est donc le renforcement d’un contrôle et d’une gouvernance supranationale. Avec le TSCG, les préconisations budgétaires doivent « être introduites dans la législation nationale (…) sous forme de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles » (ce qu’on surnomme « règle d’or »).

Par la « règle d’or », le dogme néolibéral prend une forme de loi fondamentale supranationale : toute politique de relance néo-keynésienne qui aspire à donner à l’État un rôle financier actif est en passe d’être, de fait, constitutionnellement interdite.

Concrètement, l’Union économique et monétaire a détaché la politique économique du choix et des pressions populaires pour les soumettre à celles des marchés financiers. Cela a pour effet de cantonner les gouvernements soit à une vaine agitation soit au conformisme.

A l’automne 2011, la chancelière allemande Angela Merkel énonce le besoin d’une « Marktkonforme Demokratie », c’est-à-dire une démocratie conforme au marché. Ce concept signifie ni plus ni moins un changement de régime et, pour le philosophe allemand Jürgen Habermas, un système de contrôle post-démocratique : « Le joli mot de gouvernance n’est qu’un euphémisme pour désigner une forme dure de domination politique[11]11 ».

Le TSCG a été signé le 2 mars 2012 et est entré en vigueur le 1er janvier 2013. Il rassemble vingt-cinq des pays de l’Union européenne, seules la Grande-Bretagne et la République tchèque ont refusé de le ratifier.

Voté par le Parlement sous le Gouvernement Sarkozy, le pacte budgétaire, rebaptisé « pacte de croissance » pour sauver les apparences, a été ratifié dans les premiers mois du quinquennat de François Hollande. Il donne un sérieux coup de pouce aux plans d’austérité qui s’appliquent dans tous les pays de l’UE pour détruire les systèmes de solidarité. Désormais, la Commission européenne donne la marche à suivre au Gouvernement français dans une note qu’elle publie chaque semestre.

D.- L’ « Union » européenne est l’assemblage institutionnel d’un régime de parti unique

Le système de l’Union européenne a dissous les souverainetés nationales de ses États membres sur des questions stratégiques (les « compétences exclusives » notamment). Pourtant, le principe de légitimité est non remplaçable car il supporte toute notre architecture institutionnelle. Il est également le support pratique des processus démocratiques. La communauté des citoyens d’un État doit avoir le monopole de la définition de ses choix publics. Sur tous les sujets. Et tout le temps. C’est seulement ainsi que cette communauté des citoyens pourra peser, sous une forme directe ou indirecte, de manière décisive, sur le contenu de ses institutions, c’est-à-dire sur le contenu des politiques menées et la façon de les mener. Telle est « la base de la base » pour définir une démocratie moderne. Sortir de cette logique, avec les meilleurs arguments du monde, nous fait forcément sortir de la logique de la démocratie. C’est le cas du système de l’Union européenne.

Il ne s’agit ici que de vérités de bon sens. Tous ceux qui attendent une rupture directement « européenne », de l’intérieur, avec l’ordre néolibéral européen et mondial, souvent sans s’en rendre compte, ne servent qu’à stériliser et à neutraliser des forces pourtant prêtes à agir pour la rupture unilatérale. Cela revient à attendre Godot, éternellement, pendant que les victoires des antidémocrates s’accumulent et s’accélèrent. Cette attitude est proprement irresponsable et inacceptable. C’est sacrifier les luttes et les victoires concrètes aujourd’hui, à une idéologie abstraite, postnationale, ayant fortement participé à creuser la tombe du progrès social et de la démocratie depuis des décennies.

Ceux qui militent pour le maintien de l’ordre néolibéral mondial et européen, et ceux qui prétendent pouvoir directement le changer à l’échelle mondiale et européenne se rejoignent finalement. Leur point commun est l’effacement de l’échelon national comme seul espace permettant aux peuples l’exercice de leur souveraineté. L’un et l’autre sont à combattre avec la même vigueur.

Il s’agit donc bien de briser le consensus paralysant qui constitue le cœur de l’impasse politique actuelle. Vouloir faire enfin redémarrer l’intérêt général, démocratique, social et environnemental, c’est assumer pleinement la nécessité d’une rupture nationale unilatérale avec la mondialisation néolibérale pour pouvoir organiser la coopération internationale avec tous les pays qui le souhaiteront. D’autres pays européens, sans aucun doute, et à brève échéance, suivront l’exemple de la France, premier pays ayant réussi à sortir du carcan néolibéral européen.

Selon Monsieur Macron, les citoyens rejetant son idée de « souveraineté européenne », qui efface les Nations, seraient des xénophobes et des fascistes en puissance. Pour le Président de la République, la Nation reste en effet l’obstacle à son utopie d’une souveraineté et d’une armée européennes, idée à laquelle Angela Merkel s’est ralliée. Il a pris pour cible la Nation en elle-même. Ainsi, pour lui, la culture française n’existerait pas, tandis que la psychologie française serait celle de « gaulois réfractaires ». Les Français devraient ainsi se courber sous le joug de l’impérialisme européiste, comme les Gaulois sous celui de l’impérialisme romain. Macron est soutenu hypocritement par une grande partie de la gauche associative, syndicale et politique.

Telle est la définition du « progressisme » En marche forcée macronien. C’est une vision de la modernité qui considère la diversité humaine, celle des peuples, des Nations, des langues, des religions, des civilisations, comme autant de manifestations archaïques. Le sens de l’histoire, pour ces « progressistes », va vers l’effacement de toutes ces différences. Il est conçu comme un nouvel universalisme, en opposition à celui des Lumières. Toutes les frontières vont et doivent se dissoudre, seul compte pour eux le mouvement.

Au contraire, il est nécessaire de bâtir une France indépendante, reliée à toutes les nations européennes et les autres, qui souhaitent coopérer sur une base de réciprocité

Il faut éradiquer le virus néolibéral qui a été inoculé dans les esprits et faire comprendre qu’il n’y aura pas de rupture directement à l’échelle européenne. Elle doit se penser et s’organiser au niveau national, sans renoncer pour autant à la recherche de soutiens et d’alliances avec des pays étrangers. Encore une fois, enfonçons le clou : contrairement à ce dont rêvent les « altermondialistes » et les « alter-européistes », aucune rupture d’avec l’ordre néolibéral européen n’est possible directement à une échelle européenne (ou internationale en général). Il s’agit d’une utopie au sens propre, c’est-à-dire sans lieu possible de réalisation. C’est se réfugier dans un idéal qui ne tient aucun compte de la réalité de ce qui permet ou interdit les rapports de forces décisifs.

C’est toujours par la lutte dans un pays donné, jamais de manière directement supranationale, qu’il est possible de faire bouger les choses. En 1789, en 1848, en 1968, ou en 2012 pour le « printemps arabe » (et ses limites), un phénomène de contagion internationale s’est développé à partir d’un point de soulèvement national. C’est-à-dire là où se déroulent les rapports de force réels.

Les questions institutionnelles et de la souveraineté ont été placées progressivement au cœur de la stratégie néolibérale, afin de se débarrasser du danger démocratique permanent qui planait sur les intérêts des classes dominantes dès lors où l’on laissait se développer librement le caractère politique et autonome des sociétés occidentales. Ce caractère politique de notre société était inscrit et garanti dans ce qui constitue le cœur des institutions nationales : les textes constitutionnels qui forment et organisent les institutions publiques. La grande déconstruction démocratique européenne, néolibérale depuis le début, visa donc ces textes constitutionnels, d’abord par leur contournement, et finalement par leur transformation systématique.

L’enjeu actuel immédiat le plus urgent et le plus évident est donc pour les citoyens de frapper le cœur et le moteur de la régression néolibérale. Il faut ainsi remanier notre Constitution, ou la changer, pour en éjecter les logiques néolibérales qui l’ont dénaturée, et pour y remettre à son sommet la communauté des citoyens afin de restaurer, garantir et développer son pouvoir collectif.

La paix avec nos voisins européens et tous les autres pays, des échanges commerciaux, culturels, touristiques mutuellement profitables doivent être la ligne de conduite de la France. Mais cette Europe de paix et de prospérité est aujourd’hui interdite par le système politique de l’Union européenne et de l’euro. Ce système entrave notre liberté et celle de nos voisins.

En réalité, le système de l’Union européenne est l’empire d’un parti unique. Ne pouvant être un État au sens réel du terme, le système de l’Union européenne tente de s’imposer en tant que pouvoir suprême. Cette tentative lui interdit de respecter dans son fonctionnement les principes élémentaires qui fondent les démocraties libérales européennes. Pour ne prendre qu’un seul exemple, la Commission européenne n’est pas contrôlable par les peuples des États membres. Contre un commissaire européen, il n’existe aucun recours possible de la part d’un État membre ou du peuple d’un pays membre. Et pour être nommé commissaire ou juge européen, la condition requise est d’avoir « donné des preuves de ses engagements européens ». En clair : d’avoir été un « bon européiste », c’est-à-dire un européiste non-critique. Ainsi, pour occuper des postes décisionnaires au sein de l’Union européenne (ce que ne sont pas les sièges du Parlement), encore faut-il avoir la carte du « parti européen » qui, s’il n’existe pas sur le papier, existe bel et bien dans les faits. En France, il regroupe tous les grands partis, de l’extrême gauche à l’extrême droite, tous les syndicats, et une écrasante majorité des associations et ONG…

L’opposition, dans le système de l’Union européenne, y est proscrite

Les partis présentés comme « europhobes » qui ont des élus au Parlement européen sur-jouent en permanence leur rôle « d’opposants » dans un jeu de guignol parfaitement réglé. Mais ils n’accèderont jamais aux commandes des institutions européennes, fussent-ils un jour majoritaires. Et leurs élus touchent des indemnités de l’Union européenne, la puissance avec laquelle ils prétendent vouloir établir un rapport de force, ce qui n’est pas la moindre des contradictions.

En résumé, le système de l’Union européenne est une nouvelle tentative de remplacer l’État par le gouvernement d’un parti unique comme il y en a eu hélas plusieurs au cours du XXe siècle. Le nazisme s’est révélé être un mode de « gouvernement » par un parti unique raciste. L’Union soviétique était gouvernée par un parti unique censé être celui du prolétariat. « L’Union » européenne est gouvernée par un parti unique administratif, technocratique et néolibéral, donc antipolitique et antidémocratique. Ces trois tentatives, qui naturellement, malgré ce point commun, ne peuvent en aucune manière être mises sur un pied d’égalité quant à leurs conséquences humaines, relèvent de l’idée que seuls les représentants non élus de ces partis uniques, issus d’une idéologie censée être celle de toute la société, peuvent et doivent diriger la Cité, en lieu et place du peuple.

L’Allemagne nazie, l’Union soviétique et l’Union européenne incarnent trois utopies délétères qui pensent pouvoir renoncer avec succès à la logique politique étatique et aux processus démocratiques. Ces trois projets présentent les caractéristiques des logiques impériales. Ils ne se reconnaissent aucune frontière territoriale fixe, ni aucune Nation en particulier. Ils renoncent au concept centralisateur de la loi fixant des règles générales pour tout un peuple et tout un territoire. Ils renoncent à la distinction des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Ils renoncent à la responsabilité politique des élus et des gouvernants devant leur peuple. Ils refusent que la souveraineté constituante organise les pouvoirs publics, qu’elle appartienne en propre au peuple et que celui-ci puisse peser de manière déterminante sur les lois. Ils refusent que les institutions renforcent les dominés socialement et non l’inverse.

Pour vendre le projet d’Union européenne, invraisemblable au regard de tous les principes démocratiques, les européistes invoquent souvent la prétendue nécessité de « transcender » l’État, de le présenter comme obsolète, étriqué et dangereux, matrice du totalitarisme. Mais quand on dresse le bilan d’inventaire concret de la gigantesque régression institutionnelle que constitue la « construction » européenne, on en conclut au contraire la nécessité impérieuse de restaurer l’État et la démocratie contre le totalitarisme du système de l’Union européenne. Les processus proprement étatiques, nationaux, politiques, démocratiques avaient seulement commencé à produire leurs fruits les plus positifs, lors des trente années ayant suivi la Seconde Guerre mondiale. Et ces fruits étaient extraordinairement prometteurs : redistribution des richesses plus égalitaire, création de la Sécurité sociale, développement des services publics, planification, retour à la Nation des entreprises les plus importantes, etc. C’est justement en raison des réussites économiques et sociales de cet État, démocratique durant cette période comme il ne l’avait jamais été auparavant, que les classes qui avaient le plus à y perdre ont travaillé au moyen de mettre un terme à cette expérience.

Le système de l’Union européenne, en effet, a été construit pour retirer progressivement aux États membres des domaines entiers et décisifs de leur souveraineté. C’est le cas des « compétences exclusives » que s’arroge le système. Pourquoi priver les États membres de leur souveraineté ? Pour une raison très simple à comprendre : les classes dominantes – l’oligarchie européenne – grâce aux traités européens (le traité de Lisbonne), veut s’assurer que seules des politiques néolibérales, favorables à leurs intérêts, seront possibles. C’est pourquoi les traités européens prétendent imposer définitivement des politiques néolibérales et interdisent toute politique qui répondrait aux attentes des peuples. C’est pourquoi, depuis Mitterrand (autre vichyste notoire), les alternances gauche-droite, dès lors qu’elles ne remettaient pas en cause ce système, ont mené les politiques désastreuses que nous connaissons qui ont suscité, entre autres, le mouvement des Gilets jaunes.

  1. Serge Audier, Aux origines du néolibéralisme : le colloque Walter Lippmann, Éditions du Bord de l’eau, 2008 (contient la réédition intégrale de l’édition de 1939).

  2. Robert Salais, Le Viol d’Europe : Enquête sur la disparition d’une idée, PUF, 2013.

  3. Christophe Dubois et Christophe Deloire, Circus politicus, Albin Michel, 2012.

  4. Robert Salais, ibid.

  5. Voir Jean-Pierre Chevènement, La Faute de M. Monnet, Fayard, 2006 et Marie-France Garaud, Impostures politiques, Plon, 2011.

  6. Robert Salais, ibid.

  7. Robert Salais, ibid.

  8. Robert Salais, ibid.

  9. Jean Monnet, Mémoires, Fayard, 1988.

  10. François Denord et Antoine Schwartz, L’Europe sociale n’aura pas lieu, Raisons d’agir, 2009.

  11. 11 Le Monde, 17 novembre 2011.


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