Comme depuis de nombreuses années maintenant après chaque élection, le cœur des vierges effarouchées entonne les déplorations habituelles sur les mauvais Français qui s’abstiennent, votent blanc ou nul. Il est vrai que nos compatriotes, aux régionales 2021, n’y sont pas allés de main morte. Entre 2015 et 2021, l’abstention passe de 52 % à 66,7 %, sans compter pour l’instant les blancs et les nuls… Nous allons défendre ici le point de vue exactement inverse : cette abstention massive est une chance pour la démocratie.
Nous savons, en proposant cette analyse, que nous allons choquer ou même scandaliser bon nombre de citoyens. Nous leur demandons simplement de ne pas croire les journalistes à gages comme Alain Duhamel pour qui « l’abstention signifie l’inadaptation des Français à la vie politique » (LCI, 20 juin 2017). Ou encore, le dimanche soir à la télévision, le dirigeant d’un grand parti politique dont on taira le nom par charité : « nos compatriotes ne croient plus à la démocratie ». Ou encore l’inénarrable Premier ministre, Jean Castex qui, le 21 juin 2021, s’exclame « Faire gagner l’abstention, c’est faire perdre la démocratie. Nous devons tous, collectivement, la combattre ».
C’est précisément parce qu’une très grande majorité d’abstentionnistes, de votes blancs et nuls (pas tous évidemment) croient à la démocratie, et constatent qu’elle est systématiquement détruite, volontairement, consciemment, cyniquement, par les classes dominantes, qu’ils ont refusé de participer à la mascarade des régionales et des départementales. Ils se rendent compte que leur vote ne sert plus à grand-chose (le NON au référendum de 2005 transformé en OUI par le Parlement est un événement fondateur). Lorsqu’un pays a perdu sa souveraineté, comme la France, et qu’à l’intérieur de ce pays le peuple a lui aussi perdu sa souveraineté, les élections ne sont plus qu’un simulacre. On nous invite à simuler un acte démocratique – le vote – qui par principe, selon les bonnes âmes, serait démocratique et le critère essentiel de la citoyenneté. Il suffit de regarder ce qu’il se passe par exemple en Iran ou en Algérie pour comprendre qu’il ne s’agit que d’une fable !
Les citoyens les plus perspicaces, les plus lucides politiquement sont aujourd’hui ceux qui s’abstiennent, votent blanc ou nul. Ils refusent ainsi de cautionner cette extermination de la démocratie, en devenant, à leur tour, les complices la plupart du temps involontaires des exterminateurs.
On pourra nous objecter que ce raisonnement est peut-être valable pour les élections nationales (législatives et présidentielles), mais qu’il ne l’est pas pour les élections « intermédiaires » (municipales, départementales, régionales). Hélas, ce n’est pas le cas. Le système présidentialiste, en faisant du président de la République la « clé de voûte » des institutions, écrase toutes les élections qui ne sont pas la présidentielle. Comme le président s’occupe de tout et décide de tout, à quoi bon élire des gens qui n’ont que très peu de pouvoirs, et qui font et disent tous à peu près la même chose.
D’autant que des facteurs aggravants ont joué pour ces départementales et régionales :
- L’échec de la décentralisation, qui devait rapprocher les institutions des citoyens et qui, en réalité, n’a rien changé du tout, au contraire même avec la métropolisation.
- L’affirmation constamment répétée, depuis messieurs Sarkozy et Hollande, que l’échelon départemental devait disparaître. Alors à qui bon voter aux départementales ?
- Le caractère illisible de la plupart des listes et de leurs alliances, particulièrement l’opacité qui règne pour le second tour. Ce phénomène a favorisé la prime au sortant.
Toutefois, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Dans certaines circonstances très précises, le soutien ou la participation à des élections peut être utile, à quatre conditions :
- Que les Fonctions que ces candidats convoitent disposent réellement des compétences permettant de réaliser ce que proposent ces candidats.
- Que des candidats proposent de rompre avec le système présidentialiste qui a provoqué l’extinction de la démocratie, et le remplacer un régime primo-ministériel démocratique.
- Que ces candidats démontrent qu’ils sont déterminés à scier les quatre piliers sur lesquels repose la mondialisation néolibérale : libre-échange, financiarisation de l’économie, traités internationaux d’inspiration néolibérale, contrôle des grands médias par la classe dominante. Et qu’ils s’engagent dans la démondialisation. Bien entendu, ces partis et candidats devront être clairs sur leurs intentions et ne laisser prise à aucune ambiguïté (du type plan A, B ou C, ou encore X, Y ou Z)…
- Que ces candidats et les forces qui les soutiennent manifestent la volonté et la capacité de conduire une dynamique populaire, de type constituant, allant bien au-delà des seuls moments électoraux.
N’oublions jamais que les institutions appartiennent au peuple et qu’il est en droit de les contrôler. C’est même son devoir. C’est à lui de les prendre en main, avec l’aide de candidats représentatifs qu’il aura désigné lui-même et qu’il contrôlera une fois élus. C’est ce qui deviendra possible si la somme des abstentions, des blancs et des nuls dépasse le nombre de voix obtenues par tout candidat élu. Ce dernier n’aura aucune légitimité, le peuple le remplacera.
Choses vues et entendues pendant la campagne des élections régionales et départementales
1.- Lors de la soirée électorale du dimanche, et des matinales du lundi, seuls les représentants de 30 % des Français ont été invités (les dirigeants des grands partis politiques). Aucun représentant des 70 % qui se sont abstenus, ont voté blanc ou nul. Les journalistes bien-pensants, enfermés dans leurs certitudes, n’ont même pas eu l’idée d’interroger directement ceux qui avaient boycotté ces élections au lieu de faire parler des autres à leur place.
2.- Le gouvernement, la gauche et la droite, les grands médias, ont fait une campagne sur la « montée de l’extrême droite » et du « fascisme ». La gauche a même organisé une manifestation sur ce sujet il y a peu. Or le RN baisse aux élections. Où est l’erreur ?
3.- On entend dire assez souvent que s’abstenir favoriserait l’extrême droite. Or, à ces élections, l’abstention explose et l’extrême droite s’écroule. Pourquoi ?
4.- Les instituts de sondage ont eu tout faux dans leurs pronostics. Pourquoi ? Pour la raison principale qu’ils refusent de considérer l’abstention, les blancs et nuls comme une « intention », et lorsqu’ils interrogent sur les intentions électorales, ils se limitent aux seules « intentions de vote ». Quand un tiers vote et deux tiers s’abstiennent, votent blanc ou nul, il y a forcément un problème de conception de l’échantillon et de qualité de l’analyse…
Nous aurions tort de croire que les élections régionales et départementales préfigurent l’élection présidentielle de 2022. Pour deux raisons. D’abord, les élections intermédiaires, dépourvues de véritable enjeu significatif sur la vie quotidienne des citoyens, sont devenues, dans le cadre du système présidentialiste, des élections défouloir. Elles sont un moyen de sanctionner l’exécutif à peu de frais.
Ensuite, la polarisation largement artificielle entre les deux candidats restants au second tour de la présidentielle, dont l’un sert d’épouvantail à l’autre, crée l’illusion d’un enjeu et mobilise encore majoritairement les citoyens. Pour combien de temps ?
La bataille politique principale, pour l’année qui vient, sera de dégonfler ce mythe et de travailler à organiser les abstentionnistes, votes blancs et nuls. Ils peuvent devenir la force propulsive d’avenir, s’ils passent de la déception ou de la colère individuelles à l’action collective. Imaginons l’immense joie que provoquerait, à l’élection présidentielle de 2022, si les deux protagonistes sont du type Macron / Le Pen, le même taux d’abstention, de blancs et de nuls qu’aux régionales de 2021 ! Le rapport de force politique s’ouvrirait, le peuple prendrait l’offensive…
[yarpp]
Oui absolument d’accord !
L’équipe de La Dynamique
Je pense qu’il faudrait insister et développer l’idée de la non représentation donc de la non légitimité de nos représentants élus. Lorsqu’un élu est sorti majoritaire au second tour alors qu’au premier tour il a obtenu 30% de voies avec une abstention de 60%, cet électeur ne représente en fait que 1/3ème de 40% donc 13% des électeurs. De quel droit cet élu est il censé représenter le peuple. Voilà une supercherie de notre « démocratie » qu’il faudrait dénoncer.