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LES VERTUS DU BOYCOTT ELECTORAL – Les boycotts électoraux en Afrique

LBC 09 - LES VERTUS DU BOYCOTT ELECTORAL
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II.- LES BOYCOTTS ELECTORAUX EN AFRIQUE

Quelques exemples seront pris : Ouganda (1961), Rhodésie (1962), Burkina Faso (1991 et 1992), Maroc (2011), Afrique du Sud (2014).

Ouganda, élections législatives, mars 1961

L’Ouganda est un ancien protectorat britannique formé de petits royaumes bantous. La lutte pour l’indépendance a été menée par différents groupes et principalement par trois partis qui dominaient la vie politique. Le premier était le Kabaka Yekka (KY), dirigé par le roi du Buganda, Mutesa II (1924-1969), totalement intégré à la haute société britannique, qui était un parti ethno-national, protestant, conservateur et royaliste. Le second était l’Uganda People Congress (UPC, Congrès du peuple ougandais), dirigé par Milton Obote, originaire du nord du pays, parti de « gauche », protestant et antiganda. Le troisième était le Democratic Party (DP, Parti démocratique), dirigé par Benedicto Kiwanuka, jeune avocat ganda, parti démocrate-chrétien catholique, anticommuniste, implanté au niveau national.

Le pouvoir colonial, sous la pression, n’avait plus le choix et décidait d’appeler les Ougandais au vote en mars 1961. Avec ces premières élections, il s’agissait de former un gouvernement pendant la période de transition vers l’indépendance. Le KY, insatisfait de la place institutionnelle accordée au royaume du Buganda dans le futur Ouganda indépendant, appelait au boycott des élections. Il réclamait que le Bouganda ait sa propre autonomie au sein d’un Ouganda unifié. Lors du référendum, seuls les catholiques du DP votèrent pour élire les membres de l’Assemblée nationale. Avec 416 000 votes exprimés sur une population de 7 millions d’habitants, l’Assemblée nationale n’avait aucune légitimité. Devant cette situation, la puissance coloniale britannique acceptait d’organiser de nouvelles élections en 1962. Le KY et l’UPC unis gagnaient ces élections, l’indépendance était proclamée le 9 octobre 1962. Le boycott avait bien fonctionné.

Rhodésie, référendum du 26 juillet 1961 et législatives du 14 décembre 1962

En 1953, la puissance coloniale britannique créait une Fédération de Rhodésie-Nyasaland, regroupant la Rhodésie du Sud qui deviendra la Rhodésie (actuel Zimbabwe), la Rhodésie du Nord (actuelle Zambie) et le Nyassaland (devenu le Malawi), pour conforter la domination blanche. Cette fédération sera dissoute en 1963, un an avant l’indépendance de la Zambie et du Malawi, et deux ans avant celle de la Rhodésie.

Le chemin vers l’indépendance de la Rhodésie du Sud sera plus long et plus conflictuel. La ségrégation dont les Noirs étaient victimes était plus accentuée qu’ailleurs. Le système électoral rhodésien, par exemple, n’accordait le droit de vote qu’à ceux remplissant certains critères financiers et éducatifs. Ces critères étaient les mêmes quelle que soit la couleur de peau, mais dans la réalité peu de Noirs les remplissaient.

Par conséquent, les électeurs et les parlementaires étaient en très grande majorité blancs, même si les Blancs n’avaient jamais représenté plus de 5 % de la population totale. Les Noirs de Rhodésie du Sud revendiquaient une constitution pleinement démocratique sous le slogan « one man one vote » (un homme une voix) dans un contexte d’accélération générale du mouvement de décolonisation de l’Afrique.

En janvier 1961, le Premier ministre de Rhodésie du Sud proposait une nouvelle constitution lors d’une conférence tenue à Londres. Le système électoral envisagé divisait l’électorat en un groupe « A » (comprenant 50 circonscriptions) et un groupe « B » (15 circonscriptions plus larges).

Les conditions à remplir pour être électeur du groupe « A » reposaient sur un système censitaire combinant différents critères dont le niveau d’éducation et la propriété foncière ou immobilière (principe électoral adopté dès 1923). Les critères à remplir pour être électeur du groupe « B » étaient moins exigeants et permettaient à un plus grand nombre de personnes de voter.

Ce système n’était pas discriminatoire en théorie, mais il l’était en pratique. La liste « A », en effet, était largement blanche (95 % de ce corps électoral étaient issus de la minorité blanche, laquelle constituait 8 % de la population), et la liste « B » presque entièrement noire.

Les chefs nationalistes noirs rejetèrent cette constitution en appelant à boycotter les élections qui devaient se tenir selon les nouvelles dispositions.

Le 26 juillet 1961, le projet de Constitution était proposé par référendum aux 80 000 électeurs sud-rhodésiens. Boycottée par les 4 000 électeurs africains, elle était approuvée par 66 % des électeurs, principalement Blancs. Approuvée ensuite par le Parlement britannique le 22 novembre 1961, la nouvelle Constitution rhodésienne entrait en vigueur le 6 décembre 1961 alors que la colonie connaissait de nouvelles tensions.

Le 28 juin 1962, l’Assemblée générale des Nations-Unies demandait au Royaume-Uni de convoquer une nouvelle conférence constitutionnelle qui garantirait les droits de la majorité de la population. Entretemps, le Premier ministre convoquait des élections en Rhodésie pour le 14 décembre 1962. La majorité des 10 000 électeurs noirs boycottait massivement l’élection.

Le nouveau gouvernement prenait alors des mesures radicales pour repousser le « danger communiste ». Il interdisait sous ce motif les rassemblements et meetings politiques des Noirs. Il calquait sa législation sur celle du régime d’apartheid d’Afrique du Sud en vue de mettre fin à toute activité politique suspectée de communisme.

Au lendemain de ces élections, la Grande-Bretagne prenait acte de l’éclatement politique entre les Blancs et les Noirs de Rhodésie. Elle reconnaissait alors publiquement le droit au Nyassaland, peuplé à 99 % de Noirs, de quitter la fédération. Le 29 mars 1963, la Grande-Bretagne reconnaissait ce droit à la sécession à la Rhodésie. Le 25 juillet 1963, le Parlement britannique entérinait l’échec de la fédération. Le boycott électoral avait joué un rôle essentiel.

Burkina Faso, élection présidentielle du 1er décembre 1991, et législatives du 24 mai 1992

La Haute-Volta était un État indépendant depuis le 5 août 1960. Elle sera rebaptisée Burkina Faso en 1984 (« le pays des hommes intègres »). Le capitaine Thomas Sankara prenait le pouvoir avec d’autres officiers marxistes en 1983. Le changement de nom du pays était significatif des intentions politiques de Thomas Sankara.

Des mesures favorables aux classes populaires étaient prises. Thomas Sankara ouvrait son compte bancaire à la vue de tous, comme tous les autres officiels du régime. Des pouvoirs étaient donnés aux communautés locales. Les villes et villages étaient incités à créer des comités pour la défense de la révolution et devenaient responsables des écoles, centres médicaux, coopératives agricoles…

En 1987, à l’occasion d’un coup d’État organisé par son adjoint, le capitaine Blaise Compaoré, et deux autres membres du gouvernement, Thomas Sankara était assassiné. Blaise Compaoré avait fait une partie importante de sa formation militaire en France : spécialisation à l’École d’Infanterie de Montpellier, stage dans les troupes aéroportées, stage de perfectionnement d’officier parachutiste à Pau…

Blaise Compaoré était impliqué dans le meurtre de Thomas Sankara. Il justifiait le coup d’État en prétendant que Thomas Sankara avait « trahi l’esprit de la révolution ». Il engageait alors une politique de « rectification de la révolution », en réalité un retour à la normale des relations avec la Côte d’Ivoire et la France qui s’étaient précédemment dégradées.

La responsabilité de Blaise Compaoré dans l’assassinat de Sankara a fait l’objet d’une plainte contre le Burkina Faso déposée par Mariam Sankara, la veuve de Thomas Sankara. En avril 2006, le Comité des droits de l’homme des Nations unies condamnait le Burkina Faso pour refus d’enquêter sur les circonstances de la mort de Thomas Sankara (et d’en poursuivre les responsables).

Blaise Compaoré faisait adopter une nouvelle constitution en juin 1991. Dans la foulée, une élection présidentielle était organisée en décembre 1991. Blaise Compaoré était élu président de la République. Mais les principaux partis de l’opposition, rassemblés au sein de la Coalition des forces démocratiques, boycottaient cette élection pour protester contre sa prise de pouvoir illégale. Le taux de participation n’était que de 25 %, traduisant une très forte protestation dans la population.

Les législatives de 1992 étaient également boycottées pour les mêmes raisons (35 % de taux de participation). Elles étaient remportées par le parti au pouvoir, l’Organisation pour la démocratie populaire/Mouvement du Travail (ODP/MT). Blaise Compaoré a dirigé le pays jusqu’en 2014, en dehors de tout cadre juridique au moyen de l’état d’exception. Grâce notamment au boycott électoral, le procès de l’assassinat de Thomas Sankara a pu s’ouvrir début octobre 2021 à Ouagadougou. Blaise Compaoré fait figure de principal accusé. L’ancien chef d’État, chassé du pouvoir en 2014 par une insurrection populaire, vit aujourd’hui en exil en Côte d’Ivoire (pays où l’influence française est forte…).

Maroc, élections législatives, 25 novembre 2011

Le Mouvement du 20-Février est un mouvement de contestation apparu au Maroc le 20 février 2011 dans la suite des Printemps arabes. Les premier mois (de février à avril), des manifestations ont lieu avec une certaine tolérance des autorités. À partir du mois de mai, la réaction du régime change et tous les rassemblements sont dispersés par la police à coup de matraques (pas d’utilisation d’armes à feu ou de bombes lacrymogènes) pendant trois semaines d’affilée.

À partir du 5 juin, le régime se rétracte et les manifestations ont de nouveau lieu dans le calme. Mais dès le début de la campagne référendaire pour la nouvelle Constitution, pendant le mois de juin, on remarque l’apparition de contre-manifestants qui dénoncent l’action du 20 février.

Face au Mouvement du 20-Février, le roi Mohammed VI réagit en proposant une réforme de la Constitution marocaine. Elle est approuvée par référendum à une majorité écrasante en juillet 2011. Parmi les nouvelles mesures qui, selon le roi, doivent permettre une démocratisation du pays, une partie des prérogatives du monarque seront transférées à un gouvernement, avec un Premier ministre issu du parti vainqueur. Le roi gardera cependant la haute main sur les affaires religieuses et la sécurité. Le scrutin, d’abord prévu pour le mois de septembre 2012, est avancé au 25 novembre 2011.

Une partie des participants au Mouvement du 20-Février ne croit pas que le roi est prêt à se défaire de ses prérogatives. Ils craignent que ces élections, trop précipitées à leur goût, ne portent au pouvoir les mêmes personnalités qui entourent déjà le chef de l’État. Ils appellent donc la population à boycotter le scrutin : « il n’y aura pas d’élection libre, transparente. Nous connaissons d’avance les résultats ». Le taux de participation sera de 45,4 %.

En 2007, aux dernières élections législatives, à peine un tiers des Marocains avait participé aux élections. Pour les militants du Mouvement du 20-Février, les Marocains savent que voter ne les avance à rien et donc ne vont pas aux urnes. Mais au lieu de laisser faire les choses en restant passifs, les militants du Mouvement du 20-Février ont préféré organiser un véritable boycott, plus visible et plus réfléchi.

Ce Mouvement, composé surtout de jeunes, de cyber-militants, de militants de gauche, et d’islamistes modérés, manifeste régulièrement dans les grandes villes du pays pour promouvoir ses revendications démocratiques. Les autorités les accusent régulièrement d’être des « homosexuels et des impies »…

Afrique du Sud, élections de 2004, 2006, 2008, 2011, 2014, 2021…

Au pouvoir depuis 20 ans, le parti de Nelson Mandela, le Congrès national africain (ANC) ne fait plus l’unanimité. Le manque d’emplois, d’enseignants de qualité, de police fiable, de services de base (eau, électricité…), les inégalités du système de santé public, les 40 % de jeunes au chômage… expliquent le déclin du parti au pouvoir.

Les « Born Free » (nés-libres) sont les jeunes nés après l’élection de Nelson Mandela le 27 avril 1994. Ils n’ont donc pas connu l’Apartheid et sont les premiers déçus de l’ANC. C’est d’ailleurs pour cette raison que beaucoup d’entre eux ne sont pas inscrits sur les listes électorales.

Depuis 2004, un mouvement populaire de boycott électoral s’est développé autour du slogan « No Land ! No House ! No Vote ! » (Pas de terre ! Pas de maison ! Pas de vote !). Il existe plusieurs raisons au boycott. Beaucoup affirment voter depuis 1994 mais ne voir aucun résultat positif. Il s’agit de protester contre la corruption car il n’y a pas de partis politiques qui représentent les pauvres. Le processus électoral lui-même n’est pas démocratique. Peu à peu de nouveaux slogans ont été ajoutés : « No Jobs ! No Electricity ! No Water ! No Respect ! No Freedom ! ».

Plusieurs organisations de pauvres ont donc appelé en 2004 pour la première fois au boycott des élections et au rejet général des partis politiques. En 2006, le boycott des élections municipales est organisé. Une manifestation des boycotteurs est réprimée par le pouvoir à Durban.

En 2008, ces organisations créent le Poor People’s Alliance (Alliance des gens pauvres). Cette alliance décide de boycotter les élections nationales. Les militants subissent une répression sévère. Aux élections, l’ANC obtient 39 %.

En 2011, un nouveau boycott est appelé pour les élections municipales, plus large que le dernier, intégrant des organisations de chômeurs. Au total, l’abstention est de 42 %, dont 75 % chez les 20-29 ans.

En 2014, deux anciens poids lourds de l’ANC appellent à ne pas voter pour ce parti. Pour Ronnie Kasrils, ancien ministre des Services de renseignement, et Nozizwe Madlala-Routledge, ancienne ministre adjointe à la Santé, il s’agit de protester contre la corruption et le népotisme qui règnent aujourd’hui en Afrique du Sud. Ils ont créé un groupe de déçus de l’ANC, les Sidikiwes, « ceux qui en ont assez » en langue Xhosa. Et appellent les Sud-Africains à boycotter l’élection. En 2021, avec seulement 46 % des voix à l’échelle nationale contre 54 % en 2016, l’ANC subit son plus gros revers électoral.

Le boycott électoral est une réaction à la fois spontanée et organisée de protestation contre les affaires de corruption à répétition qui frappent l’Afrique du Sud. L’ANC devra bouger si elle ne veut pas disparaître, tel est l’effet le plus immédiat du boycott.


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