Intervention de Jacques Nikonoff (Dynamique populaire constituante) le samedi 11 novembre 2023 lors de l’Université d’automne du Pardem à La Rochelle.
Est-il possible de mobiliser autour d’une nouvelle constitution ? Quelles sont les obstacles et les divisions à surmonter ? Pour quoi faire, comment faire et avec qui ?
Tel était le thème de la table ronde à laquelle participaient également Michel Lamboley (Réseau social laïque) et Michele Dessenne (Parti de la démondialisation).
Intervention de Jacques Nikonoff
On peut tenter de répondre à ces questions en deux temps :
I.- Quels sont les principaux obstacles ?
II.- Comment avancer ?
I.- il est possible d’identifier quatre obstacles principaux qui freinent le débat public sur le changement de Constitution
1er obstacle
Le lien n’est pas clairement établi par la population entre les difficultés qu’elle rencontre et la nécessité d’une nouvelle constitution pour résoudre ces difficultés. En effet, les questions liées à la souveraineté, à la démocratie, au social, à l’économie, à l’environnement, apparaissent pour beaucoup comme sans aucun lien avec les questions constitutionnelles.
La même chose peut être dite à propos de la nécessité de la sortie de l’euro et du système de l’Union européenne pour reconquérir notre souveraineté. A la différence près que la nocivité européiste est moins ignorée par la population que celle concernant la Constitution, ce qui est un point positif. Autrement dit, le lien entre le changement nécessaire de Constitution et la question européenne est fondamental. C’est vrai que c’est tellement évident que cela reste souvent dans l’implicite. Il faut constamment le rappeler et en tirer les conséquences au niveau de l’analyse et de l’action.
En affaiblissant consciemment la Nation et l’État, le système de l’Union européenne, c’est-à-dire le néolibéralisme institué, diminue le caractère de loi suprême que possède en principe la Constitution, jugée inférieure, c’est-à-dire la Nation et donc sa Constitution en tant que norme supérieure. Le même processus qui ramène la France à n’être qu’une province de la « Grande Europe » sans limite, réduit la Constitution à n’être qu’un bout de papier désuet et sans valeur.
Ceci est d’autant plus vrai et déterminant que la France,avec son peuple politique, dit-on, est le pays qui a connu le plus de constitutions en un peu plus de deux siècles. Une à peu près tous les quinze ans en moyenne d’après l’historien Jacques Godechot (Les Constitutions de la France depuis 1789). Cet aspect des choses est donc un obstacle supplémentaire et surdéterminant qu’il faut rappeler.
La Constitution actuelle, 24 fois révisée, et dont 40 % du contenu a été réécrit depuis 1958, permet et encourage les gouvernements à détruire systématiquement, consciencieusement et progressivement la souveraineté de la France et celle du peuple, la démocratie et les libertés publiques, la qualité de l’environnement, la puissance économique de notre pays et son système de protection sociale.
Pourtant le bloc de constitutionnalité, c’est-à-dire la Déclaration des droits humains de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946, la Charte de l’environnement de 2005, contient des principes constitutionnels qui permettraient sans attendre de résoudre certaines des difficultés du pays. On peut prendre l’exemple du « droit à l’emploi » contenu dans le Préambule de 1946 qui dit ceci : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. »
Néanmoins, un pas de géant dans la conscience a été accompli à l’occasion de la lutte pour la défense des retraites de l’année 2023. En effet, le Conseil constitutionnel s’est trouvé au cœur du conflit par les deux décisions rendues le 14 avril 2023. L’une portait sur le projet de loi sur les retraites, l’autre sur le référendum d’initiative partagée. Ces décisions ont souffert de plusieurs graves défauts : déontologie discutable des membres du Conseil constitutionnel, suspicion d’impartialité, absence de débat réellement contradictoire, aucune argumentation étayée et cohérente.
Beaucoup de gens, notamment des syndicalistes, se sont rendus compte que la Constitution actuelle était un obstacle dressé pour empêcher les politiques sociales et la démocratie.
Il faudrait maintenant, sur des sujets comme les salaires, le logement, la santé, l’industrie et l’économie en général, l’environnement, la même prise de conscience intervienne.
2e obstacle
Les questions constitutionnelles apparaissent aux yeux de beaucoup comme de purs problèmes juridiques, donc par définition complexes, accessibles seulement aux spécialistes. Cette situation résulte probablement de trois facteurs :
1er facteur
Le rôle des constitutions dans les sociétés est mal compris. Rappelons qu’une constitution est un acte fondateur par lequel une société se constitue une identité et décide de l’ordre social voulu, de son régime politique. Une constitution est la loi fondamentale d’un État qui contient notamment :
- Les droits et les libertés des citoyens.
- L’organisation et les séparations du pouvoir politique (législatif, exécutif, judiciaire).
- L’articulation et le fonctionnement des différentes institutions qui composent l’État (Conseil constitutionnel, Parlement, gouvernement, administration…).
- La limitation des pouvoirs.
La Constitution se situe au sommet du système juridique de l’État dont elle est le principe suprême. Toutes les lois, décrets, arrêtés et traités internationaux doivent être conformes aux règles qu’elle définit.
Dans le système de l’Union européenne ce sont les traités internationaux qui priment
2e facteur d’incompréhension
C’est la conception classique (bourgeoise) de la Constitution qui s’est imposée en France, fondée essentiellement sur la seule organisation des pouvoirs publics et la souveraineté aux seuls députés, au détriment de la conception moderne (démocratique et populaire).
Une constitution classique (bourgeoise) ne s’intéresse qu’au statut de l’État, à l’organisation des pouvoirs publics (exécutif, législatif, judiciaire, etc.), leur fonctionnement et les relations entre les gouvernants et les gouvernés.
Une constitution moderne (démocratique et populaire), sans méconnaître la nécessité de l’organisation des pouvoirs publics, met l’accent principalement sur le rôle du peuple comme constituant et sur la définition des droits humains naturels et universels.
3e facteur d’incompréhension
Les principales forces politiques ont pendant longtemps érigé la Constitution de la Ve République comme un tabou, au motif que sa principale qualité serait la stabilité. Deux observations à ce propos :
- D’abord, la Ve République n’a strictement rien de stable, tout dépend de ce que l’on observe. Son contenu a été 24 fois révisé, c’est un record ; et 40 % de la Constitution a été réécrit, c’est également un record d’instabilité. Le régime politique qu’elle soutient connaît une crise sociale, économique, environnementale, politique, institutionnelle depuis des décennies qui déstabilise le pays et l’entraîne dans le déclin.
- Ensuite, la IVe République doit être rehaussée en dignité, car malgré les changements fréquents de gouvernements, elle a été la période la plus prospère pour le pays et pour les citoyens.
3e obstacle
Les groupes et personnalités qui interviennent sur ces questions sont divisés et désorganisés. En dehors des universitaires et autres experts constitutionnalistes, il est certainement possible d’établir 4 catégories d’acteurs sur les questions constitutionnelles :
- Les groupes de parole sur le sujet comme les groupes de Gilets jaunes constituants.
- Les producteurs de projets de constitution.
- Les invocateurs de la mise en place d’une assemblée constituante.
- Les promoteurs d’une dynamique populaire constituante.
Jusqu’à présent, il n’a pas été possible de rassembler toutes ces forces dans une coalition unique, d’ailleurs, qui, pour exister et durer, ne pourrait que respecter les particularités de chacune de ses composantes.
Mais la contrepartie de cet équilibre et de ce fonctionnement respectueux de la diversité, serait nécessairement la renonciation à toute tentative hégémonique de telle ou telle organisation, le rejet des petits chefs et des nano-gourous autoproclamés.
4e obstacle
Le chemin pour parvenir à mettre en place une nouvelle constitution, et donc une nouvelle République, n’est pas clair pour les citoyens et leur apparaît quasi impossible à atteindre. La Constitution actuelle ne permet en effet, apparemment, que deux chemins pour être révisée. Ils sont tous les deux dans l’Article 89. Cet article dit ceci :
« L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement. »
« Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.
Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des 3/5 des suffrages exprimés. »
Ces deux exigences constitutionnelles : une décision du président de la République pour organiser des référendums sur de vrais sujets, et l’obtention de 3/5 des voix au Parlement, apparaissent hors de portée pour les citoyens.
II.- Comment avancer ?
4 pistes :
1ère piste
Faire un travail de pédagogie et d’éducation populaire sur le rôle des constitutions dans les sociétés, ainsi que sur les différentes conceptions des constitutions.
2e piste
- Mettre en avant les deux questions principales qui sont les droits humains naturels et universels autour du principe du droit opposable, et celles relatives à la souveraineté nationale et populaire, c’est-à-dire la démocratie.
- Rappel historique sur les droits.
- La notion de droit opposable.
- Extension du domaine du droit opposable.
- Concernant la souveraineté et la démocratie, l’élimination de la Constitution du titre XV (« De l’Union européenne ») et l’introduction d’un référendum annuel à questions multiples doivent devenir des éléments essentiels du débat public.
3e piste
Eclairer les voies possibles pour bâtir une nouvelle constitution démocratique. Dans le cadre de la Constitution actuelle, les possibilités de révision reposent en réalité sur les articles 11, 16, 29, 89. Et dans ce cadre, les rôles du Parlement et du président de la République sont obligatoires et déterminants.
- L’Article 11
Il dit ceci :
« Le président de la République, sur proposition du gouvernement pendant la durée des sessions ou sur propositions conjointes des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et au service public qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. »
La révision de la Constitution n’apparait donc pas dans les questions pouvant être soumises au référendum via cet article. Pourtant, un référendum constitutionnel sur l’élection au suffrage universel direct du président de la République française s’est tenu le 28 octobre 1962. Passant outre l’opposition du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel, le président de la République de l’époque, Charles de Gaulle, a imposé ce référendum. Il est donc possible de considérer qu’il fait depuis jurisprudence.
Par ailleurs, contrairement à une idée répandue, l’article 11 n’est pas simplement dédié au seul président de la République. Le gouvernement et le Parlement peuvent également susciter des référendums. Cette formule ne semble cependant valable que lors des cohabitations.
- L’Article 16
Il concerne les pouvoirs exceptionnels du président de la République. Rien n’interdit, dans la Constitution, que dans ce cadre le président convoque un référendum sur une loi constitutionnelle.
- L’Article 29
« Le Parlement est réuni en session extraordinaire à la demande du Premier ministre ou de la majorité des membres composant l’Assemblée nationale, sur un ordre du jour déterminé. »
La Constitution n’empêche donc pas une majorité de députés de convoquer la réunion du Parlement sur un ordre du jour portant convocation d’un référendum visant à réviser la Constitution.
- L’Article 89
Nous l’avons évoqué tout à l’heure, l’initiative peut venir du président de la République ou du Parlement, 3/5 des voix sont nécessaires pour adopter une révision constitutionnelle.
Au total, le rôle du président de la République et surtout celui de l’Assemblée nationale et du Parlement sont décisifs pour réviser la Constitution. La question se pose alors d’avoir systématiquement :
- Des candidats constituants aux municipales de 2026.
- Des candidats constituants aux législatives de 2027.
- Des candidats constituants aux sénatoriales de 2028.
- Et même un candidat constituant à la présidence de la République en 2027.
4e piste
Rassembler, sans aucune volonté d’hégémonie de qui que ce soit, tous ceux qui réfléchissent et agissent sur les questions constitutionnelles.
- Des initiatives publiques qui permettent de rapprocher les points de vue.
- La mise en place de comités locaux constituants. Tous les sympathisants des différents groupes qui ont été évoqués pourraient s’y retrouver. Ils rassembleraient également, et même essentiellement, tous les citoyens ayant la volonté de restaurer la démocratie dans notre pays.