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La souveraineté monétaire, les monnaies numériques, les crypto-monnaies et l’Euro

Cryptomonnaie - La DPC
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Par Jean-Pierre Crépin, économiste et Gilet jaune

La présente étude inaugure une réflexion sur l’utilisation éventuelle de monnaies numériques dans le cadre de la sortie de l’euro par certains de ses pays membres. Pour lancer cette réflexion, un tour d’horizon général paraît nécessaire.

Ce document est donc consacré aux crypto-monnaies souveraines que l’on désigne sous le nom de CDBC (Central Bank Digital Currency) ou de MNBC (Monnaie Numérique de Banque Centrale). D’après le Fonds monétaire international (FMI), 97 pays ont à ce jour des projets en matière de MNBC. Selon la Banque des règlements internationaux (BRI), plus de 85 % du total des banques centrales dans le monde ont indiqué travailler ou avoir l’intention de travailler à court terme sur un projet de monnaie numérique.

Nous ferons une synthèse rapide du panorama mondial, les échecs et les réussites les plus importantes et surtout la justification de la mise en place d’une telle monnaie.

Il y a à ce jour suffisamment d’expérimentations en cours pour que nous puissions en tirer les premières conclusions. Nous ne nous attarderons pas sur le test en cours de la Banque centrale européenne (BCE), trop récent, et mettrons un coup de projecteur sur les autres expérimentations. Elles correspondent à de vrais choix politiques comme la plus puissante d’entre ces nouvelles monnaies : le yuan numérique. Nous rappellerons ici qu’il ne peut y avoir de souveraineté sans souveraineté monétaire.

Chine : le yuan numérique (e-CNY)

Si la volonté de dédollarisation est au cœur des cryptos souveraines, il n’en reste pas moins que d’autres motivations sont également présentes et ce particulièrement dans le cas de la monnaie digitale chinoise.

Lancé en 2014, le projet a nécessité le dépôt de plus de 80 brevets. Son apparition en 2019 est consécutive à l’annonce de Zuckerberg et de Facebook de la mise en place de la Libra[1]. Ce projet mort-né a été présenté au congrès américain comme un rempart à l’hégémonie chinoise, deuxième économie mondiale et première à sa lancer dans l’aventure des devise 2.0. A l’inverse, la Chine voyait dans la Libra une menace économique et géopolitique. Déjà frustrée de la domination du dollar, la Chine s’inquiétait de voir un puissant groupe américain fort de ses deux milliards d’utilisateurs dominer le monde de la monnaie digitale. Wang Xin, directeur de la Banque populaire de Chine, était encore plus explicite. Le succès de la devise de Facebook dans un contexte de tension et de guerre commerciale aboutirait « à un monde avec un seul patron, le dollar et les États-Unis ». Xi Jinping décida donc d’accélérer le mouvement et de mettre en place une monnaie numérique souveraine. Il ne peut laisser des initiatives privées ou publiques attaquer son pouvoir monétaire. Facebook et ses deux milliards d’utilisateurs, comprenant aussi des Chinois, est une entreprise privée qui contribuerait à attirer le centre de gravité vers le dollar. Qui plus est dans un pays comme la Chine où le commerce en ligne a explosé. Et où les paiements se faisaient déjà à 83 % via le téléphone et les application WeChat pay, filiale d’une méga-entreprise chinoise qui pouvait s’enorgueillir de 1 milliard d’utilisateurs dans le monde grâce à une politique de commissions très favorables. La deuxième entreprise chinoise du secteur, Ali pay, qui dépend de Ali Baba le géant du commerce électronique, comptait quant à elle 700 millions d’utilisateurs et des dizaines de millions de boutiques en ligne ainsi qu’une acceptation dans les plus grands réseaux incluant Visa et Mastercard. Leur force : le paiement à la livraison. Les sommes étant bloquées jusqu’à la preuve de livraison. Il est à noter que ces sociétés, même de droit privé, restent sous la tutelle du pouvoir économique de Pékin.

Pour les dirigeants chinois, il n’est pas question de laisser une monnaie privée qui se débarrasse de tous les tiers de confiance (banques, assurances et instituts d’émission), se substituer à une monnaie souveraine. Par ailleurs, la Chine rencontre aussi les difficultés que nous connaissons en Europe : fraude à la TVA ou à l’impôt sur le revenu, évasion fiscale, travail au noir sans compter les méfaits économiques comme le blanchiment d’argent lié au crime ou à la drogue et au terrorisme.

En réalité, la monnaie numérique de banque centrale n’a pas grand-chose à voir avec le projet avorté de Facebook et encore moins avec les cryptos comme le Bitcoin[2]. Le projet Libra reposait sur un stablecoin[3] comme le crypto yuan[4], mais restait une monnaie privée. Il nous faut revenir sur le principe du stablecoin. Les créateurs de cryptos se sont vite rendu compte de l’extrême volatilité de leurs unités monétaires comparées aux monnaies fiat[5] ou souveraines. Cette volatilité constituait un frein à leur développement. L’idée est donc venue de s’inspirer des monnaies banques centrales[6] à l’époque où l’or était la devise reine. Les monnaies appuyées sur l’or[7] étaient plus stables que celles qui ne l’étaient pas. Les stablecoins sont donc des monnaies cryptées adossées[8] partiellement ou totalement sur des réserves de monnaies classiques. Leur émission supposait la constitution préalable de cette réserve de monnaies classiques et les nouvelles émissions nécessitent l’augmentation de la réserve. Outre les monnaies classiques, certaines cryptos sont adossées à des matières premières, dont l’or ou le pétrole, ou même à d’autres cryptos ou des produits financiers structurés[9] ou non. Ce qui rendait plus compliquée la chose car les cryptos n’aiment pas les tiers de confiance[10].

Le défi pour la Chine était énorme et le Président Xi avait parfaitement mesuré l’ampleur du défi en affirmant que son pays serait le leader mondial de la blockchain[11] et le premier à mettre en place un crypto souveraine. Mais comment faire lorsque son pays génère 53 % du minage du bitcoin[12] et 60 % du minage de l’ensemble des cryptos[13] ?

Les premières réponses arrivèrent en 2019 avec la saisie en quantité de puissants ordinateurs utilisés dans des « fermes de minage[14] ». 7 000 machines étaient ainsi saisies sous le prétexte de vol d’électricité. La réglementation devint très sévère avec interdiction des ICO (Initial Coin Offering[15]), commissions de services imposées aux plateformes de trade et d’échanges[16]. Bref, tout ce qui avait assuré le succès des monnaies cryptées d’essence libertarienne[17]. La promulgation d’une loi encore plus sévère et mise en application le 1er janvier 2020 conclura ce que devait être le nouvel ordre technologique autour d’une monnaie numérique souveraine. En 2021 la Chine interdisait le minage du bitcoin et d’autres cryptos, province par province, sous couvert du gaspillage d’électricité.

Architecture financière et technique

La monnaie numérique est arrimée[18] à la monnaie souveraine. Elle en tire sa légitimité.

A l’inverse d’une monnaie cryptée décentralisée qui repose sur une blockchain complexe faite de nœuds[19], d’algorithmes[20], de mineurs[21], une monnaie numérique souveraine est centralisée. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un réseau ouvert pour le public mais d’un réseau à permission. Le modèle qu’utilise la Chine est le modèle qu’utilisent tous les projets de monnaies numériques souveraines, celui d’une structure organisationnelle à deux niveaux. Au premier niveau, la Banque populaire de Chine émet et supervise la monnaie, tandis qu’au deuxième niveau, les banques commerciales et autres institutions distribuent la monnaie numérique aux citoyens. Il est donc exclu de revenir à un modèle de banque centrale émettrice de monnaie « à l’ancienne » pour ne pas concurrencer les banques commerciales et éviter que tous les citoyens finissent par avoir un compte à la banque centrale. Il s’agit ainsi d’apporter des yuans numériques aux banques commerciales et à tous les opérateurs de deuxième niveau par conversion de leur solde en monnaie classique sur les livres de la banque centrale. La banque centrale émet donc des yuans numériques par ce mécanisme de conversions. Les banques commerciales libellent leurs opérations de prêts en yuans numériques. C’est ainsi que les banques de deuxième niveau créent à leur tour de la monnaie cryptée en vertu du principe keynésien selon lequel les crédits font les dépôts[22]. Les crédits en yuans numériques se traduisent par une augmentation de la masse monétaire dans cette monnaie. Il est clair que dans ce schéma la liquidité doit être incontestable et que par conséquent seules des banques d’une certaine taille participent à l’opération. Pour le reste, les banques se trouvent dans une situation classique et organisent les systèmes de compensation entre elles dans cette monnaie. Une latitude est laissée aux banques pour délivrer des taux d’intérêt à leurs détenteurs ou les baisser pour pousser les gens à consommer, donc une possibilité de renforcer la politique monétaire. Le yuan numérique n’est donc pas seulement une monnaie de paiement pour les biens et les services de faible valeur comme la nourriture ou le divertissement, mais aussi d’accéder à des investissements dans des fonds. En septembre 2022, on comptait près de 261 millions d’utilisateurs du e-CNY dans le pays. Le Digital Currency Institute de la Banque Populaire de Chine annonçait que les transactions réalisées en e-CNY avaient dépassé fin août 2022 le montant cumulé de 100 milliards (14 milliards d’euros) pour 360 millions de transactions. 5,6 millions de commerçants acceptaient alors la MNBC comme moyen de paiement.

Depuis, l’ampleur du débit des transactions s’est accéléré au fur et à mesure que d’autres provinces ont été couvertes, et 250 milliards de dollars étaient comptabilisés au premier semestre 2023.

En 2024, Mu Changchun, qui dirige l’Institut de recherche sur la monnaie numérique de la Banque populaire de Chine (PBoC), a fait le point sur le déploiement et l’adoption de son projet pilote de monnaie numérique de banque centrale (CBDC). En juillet, il y avait 180 millions de portefeuilles personnels, ce qui représente environ un sur huit des 1,4 milliard de Chinois. Le volume cumulé des transactions a atteint 7,3 billions de yuan. Sur la base des chiffres précédents, cela signifie que les transactions ont totalisé environ 300 milliards de yuan (42 milliards de dollars) pour le mois de juillet. Cependant, il ne s’agit pas de toutes les transactions de détail, car le yuan numérique est également utilisé pour les valeurs mobilières de grande valeur et les transactions commerciales.

Il ne s’agit donc pas uniquement de faire se substituer une monnaie fiduciaire à une monnaie numérique et de réduire drastiquement tous les frais qui y sont liés : émission, maintenance, conservation. Il s’agit surtout de sécuriser les paiements internationaux dans des conditions de coûts et d’instantanéité qui n’ont rien à voir avec les mécanismes traditionnels. Jamais le dicton « le temps c’est de l’argent » n’a été aussi vrai.

Dans le « nouveau monde», le temps est devenu une matière première.

La route de la soie

En 2013, le Président Xi Jinping lançait un projet baptisé One Belt One Road (OBOR) la route et la ceinture et entendait y investir 1 000 milliards de dollars dans le but de restituer à la Chine une place géopolitique majeure. Dix ans après, le projet a pris forme. Ainsi en juin 2023, Cosco – le géant public chinois du transport maritime – a acheté 24,99 % du hub portuaire de Hambourg, pratiquement la principale porte d’entrée sur le marché européen.

La route de la soie digitale

Lancée en 2015, avec aujourd’hui plus de 200 milliards de dollars d’investissements, la Digital Silk Road fait partie intégrante de la Belt and Road Initiative (BRI) de la Chine.

D’après la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la BRI « est une stratégie initiée par la République populaire de Chine qui vise à relier l’Asie à l’Afrique et à l’Europe via des réseaux terrestres et maritimes dans le but d’améliorer l’intégration régionale, d’accroître les échanges commerciaux et de stimuler la croissance économique. »

La Digital Silk Road a un objectif clair : connecter le monde grâce à des infrastructures numériques de pointe. Concrètement, cela se traduit par l’installation de câbles sous-marins permettant de renforcer la connectivité internet entre la centaine de pays partenaires, mais aussi par la construction de villes intelligentes où des technologies chinoises comme celles de Huawei sont utilisées pour la connectivité. Ces infrastructures visent à combler le fossé numérique tout en modernisant les économies des pays partenaires.

En parallèle, ce projet gigantesque est accompagné de prises de participations stratégiques via le consortium géant chinois Tencent, notamment dans les fintechs. Citons pour exemple la célèbre néo-banque allemande N26 ou Qonto en France (fondé par le fils de l’ancien Président de la BNP) ou Nubank au Brésil, etc. Le yuan numérique est une pierre angulaire de la route de la soie digitale qui mène à la dédollarisation.

BRICS BRIDGE

Les pays BRICS sont composés depuis 2011 d’économies en développement qui se disent aujourd’hui émergentes, avec en tête le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. En 2024, l’Iran, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Égypte l’ont également officiellement rejoint. 34 autres pays ont exprimé leur intérêt à y adhérer. En 2023, le président brésilien Lula a proposé de créer une monnaie commune en Amérique du Sud pour s’affranchir du dollar américain. La Russie, la Chine et l’Iran seraient particulièrement intéressés par la dédollarisation des transactions internationales, afin de contourner les sanctions occidentales. Sans compter que tous les BRICS sont des pays exportateurs ou des pétro-États qui ont besoin du dollar pour leurs échanges commerciaux. Les chances de créer une nouvelle monnaie sont assez faibles, compte tenu de la distance économique et géopolitique actuelle entre les composantes des BRICS. Lors du sommet des BRICS à Kazan (22 au 24 octobre 2024), la propagande russe et chinoise s’est efforcée de donner de la crédibilité au défi d’une soi-disant majorité mondiale contre une économie américaine isolée et non plus hégémonique. Mais en dehors de la Russie, tous les autres pays des BRICS, grands exportateurs, sont dépendants de l’économie américaine, véritable importateur de dernier recours dans le monde qui, en vertu de sa domination géopolitique, a intérêt à rester importateur ainsi qu’à garder le contrôle du trafic maritime. Pour donner quelques chiffres, il suffit de dire que, selon Visual Finance (données de 2023), le PIB américain est le plus important au monde, en deuxième position se trouve la Chine, mais la somme des cinq premiers BRICS ne le dépasse pas. L’administration fédérale américaine compte cinq millions d’employés ; la Chine, le premier challenger, en a un. Le premier employeur mondial est le Pentagone avec 3 millions d’employés ; la défense chinoise en a un cinquième. Pour autant, les initiatives sont là. BRICS Pay et les systèmes de paiement nationaux et internationaux existants font partie intégrante d’un écosystème unique conçu pour améliorer les capacités de paiement transfrontalier entre les nations BRICS, permettant des règlements transparents entre les pays BRICS ; BRICS Pay proposera un portefeuille numérique qui intègre divers réseaux blockchains et comptes bancaires des pays des BRICS, facilitant la gestion des fonds et permettant aux utilisateurs d’effectuer des paiements dans les monnaies nationales dans le cadre des BRICS+.

https://www.brics-pay.com/

Par ailleurs, Iran et Russie, les deux pays sous embargo, développent une monnaie numérique régionale adossée à l’or pour leurs échanges.

Le Venezuela, le petro et les raisons d’un échec

C’est le premier pays à franchir le pas en émettant une crypto-monnaie souveraine sous forme d’une ICO (levée de fonds publique). Le Venezuela a créé le p, dont la valeur était « garantie » par les réserves de pétrole du pays selon les termes fixés par un décret n° 3.196 du 8 décembre 2017. Les termes de cette garantie, comme ceux de l’accès à cette « garantie », n’étaient toutefois pas des plus clairs, laissant craindre quant à l’efficacité de ce droit pour les détenteurs de petro. Ce qui était particulier dans le cas du petro c’était l’émission d’une crypto-monnaie adossée à un actif, en l’espèce le pétrole. Le cas n’était pas nouveau puisque l’on avait déjà vu des crypto-monnaies adossées sur l’or, comme Vaultoro ou Royal Mint Gold, et en particulier sur des mines en cours d’exploitation, voire non exploitées mais avec des travaux d’exploration. La plupart des économistes mais aussi des spécialistes des cryptos étaient cependant très critiques sur cette initiative vénézuélienne, considérant qu’il s’agit là au mieux d’une tentative de détournement des sanctions américaines, au pire d’une escroquerie. Une agence de notation chinoise s’était livrée à une appréciation du petro concluant que cette émission n’aurait que peu d’effets sur l’économie vénézuélienne.

En final, le petro n’aura pas permis de résister aux sanctions américaines ni empêcher l’hyperinflation du bolivar local, ni de soutenir l’économie. C’est un échec qui n’a rien de surprenant pour les habitants du Venezuela, car cette crypto-monnaie n’a jamais servi à rien. Il fallait de toute façon la convertir en bolivares, et les aides de l’État étant ridicules, cela n’avait pas de sens. Comme l’explique l’économiste Pilar Navarro « les crypto-monnaies, comme n’importe quelle monnaie, se basent sur la confiance et sur leur utilité.» Et de toute évidence, aucun de ces ingrédients n’était au rendez-vous…

La recherche de l’indépendance monétaire : l’exemple des Îles Marshall

Les îles Marshall ont été le théâtre d’affrontements entre Américains et Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Depuis, elles sont longtemps restées sous la tutelle des États-Unis (1947 officiellement, après un débarquement en 1944). Cette tutelle devient une association libre en 1986, conformément aux accords de 1979. L’indépendance n’est obtenue qu’en 1990. Depuis, cet État océanien a tout de même conservé l’usage du dollar américain. La raison se trouve dans sa principale source de revenus, à savoir les essais nucléaires américains effectués dans ce territoire. Mais les îles Marshall souhaitent achever leur indépendance en créant leur propre devise. Par les temps qui courent, elles ont jugé opportun de miser sur la crypto-monnaie. En 2019, le pays officialisait son projet de cryptomonnaie nationale, appelée le sovereign (SOV). L’objectif : parvenir à se distancier de son envahissant partenaire américain, les USA et leur dollar, maintenant une lourde chape sur les forces vives de la micro-nation. Depuis, le projet avance et le gouvernement local communique à l’occasion. Un des objectifs majeurs de la crypto-monnaie nationale SOV est le suivant : libérer le potentiel des Îles Marshall, notamment en révolutionnant les transferts monétaires entre les locaux et leur diaspora particulièrement installée aux Etats-Unis. Au programme, une réduction conséquente des frais de transfert, jusqu’ici lourdement accaparés par les géants du paiement transfrontalier que sont MoneyGram ou Wells Fargo. Sur le plan purement intérieur, le SOV doit aussi permettre aux Îles Marshall de fonctionner enfin sur une véritable monnaie solide, et non pas ouvertement inflationniste comme l’est le dollar.

Turkcoin : voyage au pays des cryptos non voulues

Le Président turc Erdogan a souvent rappelé son opposition aux cryptos privés : « Nous ne souhaitons pas nous ouvrir aux crypto-monnaies. Au contraire, nous sommes en guerre contre elles. » Le président turc oppose le bitcoin (BTC) et les altcoins[23] à la livre turque, monnaie officielle, les crypto-monnaies étant selon lui une menace. Il a par ailleurs confirmé que la priorité du pays était avant tout la livre : « Nous ne donnerons pas [aux cryptos]un traitement de faveur. Nous continuerons à cheminer avec notre argent, qui est notre identité fondamentale dans cette affaire ».

Peu de chefs d’État ont montré une hostilité si nette au secteur. Le ton plus dur d’Erdogan s’explique partiellement par les performances de la livre turque, dont le prix n’a cessé de chuter au cours de la décennie. Il faut dire qu’en Turquie, les crypto-monnaies sont particulièrement adoptées : il s’agit d’un des écosystèmes cryptos les plus dynamiques… Tout du moins à l’origine. En 2019, une étude révélait qu’un habitant de Turquie sur 5 possédait des cryptos. Mais depuis, Erdogan et le gouvernement ont durci le ton. En avril 2021, ils ont tout bonnement interdit les paiements en crypto-monnaies, soi-disant pour protéger les habitants des « risques ». En réalité, le gouvernement lutte pour préserver la place de la livre (TRY). Erdogan a renvoyé le gouverneur de la banque centrale du pays trois fois en deux ans, ce qui ne contribue pas particulièrement à promouvoir la confiance. Et le cours de la TRY continue de plonger.

Dans le même temps l’hyperinflation est telle en Turquie que pour survivre, il faut connaître les meilleurs bureaux de change comme celui du Grand Bazar où tous les marchands convertissent leurs ventes instantanément en dollars ou en euros. À Istanbul, les agents de change proposent aux citoyens d’investir dans le bitcoin ou dans d’autres monnaies virtuelles pour les protéger de l’inflation et des dévaluations monétaires.

Il faut dire que l’inflation est encore de 50 % en 2024 après avoir été de 80 % l’année d’avant et de 130 %, il y a trois ans. L’adoption massive des cryptomonnaies en Turquie se reflète dans les chiffres. Selon la banque espagnole BBVA citée par Chainalysis, entre 40 % et 50 % de la population turque en posséderait, contre 20 % en 2022. D’après l’indice d’adoption des cryptomonnaies en 2024, publié par la plateforme, la Turquie est devenue cette année le premier marché de la région Mena (Moyen-Orient, Afrique du Nord) et le onzième au niveau mondial, avec des transactions atteignant 136,8 milliards de dollars entre juillet 2023 et juin 2024. Le pays est en outre le plus grand marché de stablecoins au monde rapporté à son PIB. « Les achats de stablecoins avec la livre turque sont étroitement corrélés au taux d’inflation », souligne Chainalysis. En mars 2024, on observe un pic soudain du volume de trading de ces monnaies, qui coïncide avec une nouvelle accélération de l’inflation.

« Cela reflète une tendance plus large que nous avons observée au fils des ans dans les régions à instabilité monétaire et à faible couverture bancaire, rapporte l’étude. Le bitcoin est vu comme une couverture contre l’inflation ou l’instabilité géopolitique », précise un dirigeant du gestionnaire de fonds BlackRock, cité par Chainalysis. Pour ces différentes raisons, des pays, notamment en Asie (Inde) et en Afrique (Nigeria), ont connu une adoption dynamique des crypto-monnaies.

En Turquie, beaucoup de citoyens utilisent en outre les cryptos non seulement pour préserver la valeur de leurs avoirs, mais aussi pour l’augmenter. Certains investissent dans des actifs très volatils comme le bitcoin ou l’ethereum[24], les deux monnaies numériques les plus valorisées, et les conservent sur le long terme en espérant que leur bas de laine électronique s’étoffera. Le bitcoin est souvent comparé à de l’or virtuel car il devient un actif refuge dans le monde.

Face au niveau de transactions atteint dans le pays, les autorités turques cherchent de plus en plus à encadrer le secteur. Depuis avril 2021, la banque centrale a interdit l’utilisation de ces devises virtuelles comme moyen de paiement pour les biens et les services mais a laissé la porte ouverte aux investissements. Certaines agences immobilières permettent par exemple d’acquérir du foncier en cryptos. Signe d’une récente dynamique, à l’été 2024, quarante-sept nouvelles demandes de licences ont été déposées suite à l’introduction de réglementations en juillet. Les plateformes de trading doivent se conformer aux règles de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme et s’enregistrer auprès des autorités financières. Ces applications, ludiques, permettent l’achat et l’échange de crypto-actifs, ce qui a facilité leur accès pour une grande partie de la population, majoritairement jeune et urbaine, avec une appétence pour les nouvelles technologies (40 % de la population en Turquie a moins de 30 ans). Selon les projections de Chainalysis, 26,2 millions de citoyens échangeront des cryptos d’ici 2025, sur une population de 85 millions de personnes.

La Turquie, quant à elle, peine toujours à maîtriser l’inflation et reste très vulnérable aux chocs extérieurs qui mettent sous pression ses réserves de change. Signe que les crypto-monnaies s’installent, et dans le souci de ne pas déstabiliser le système financier, le gouvernement a récemment abandonné ses projets de taxation des bénéfices issus des transactions des crypto-actifs.

Suède

La Riksbank suédoise étudie les possibilités d’introduire une monnaie électronique en complément d’autres moyens de paiement. L’émission de monnaie électronique a lieu et est contrôlée par la Riksbank. Elle aurait la même valeur que la couronne ordinaire et suivrait les mêmes réglementations. Elle sera la seule émettrice de l’e-krona, qu’elle distribuera aux participants du réseau : les banques, qui feront office de nœuds de traitement des transactions sur cette blockchain étatique.

Sur un deuxième niveau du réseau, ces nœuds bancaires distribueront à leur tour les couronnes numériques aux citoyens, les utilisateurs finaux. Il n’est en revanche pas clair s’il sera bien possible d’échanger l’e-krona directement entre particuliers (sans passer par un nœud bancaire), même s’il sera manifestement possible de le faire vers une entreprise ou un commerçant. Il est à noter que dans ce pays où les paiements en ligne ou par téléphone sont très développés, l’Etat ne pousse pas particulièrement les utilisateurs à renoncer à l’argent liquide. Le projet pilote d’e-couronne de la Riksbank publie actuellement son quatrième et dernier rapport, qui analyse comment une e-couronne pourrait fonctionner dans la pratique, si une décision est prise d’émettre une monnaie numérique de banque centrale. Dans le rapport, la Riksbank a étudié comment une e-couronne peut être utilisée hors ligne pour des paiements si l’électricité et les télécommunications ne fonctionnent pas. Les travaux de la Riksbank sur l’e-couronne se poursuivront et se concentreront sur la conception et la préparation de la législation qui pourrait être nécessaire en cas d’introduction d’une e-couronne.

Conclusion

L’exemple suédois nous démontre à quel point il est primordial de se positionner sur ce sujet si l’on ne veut pas perdre la souveraineté monétaire et voir les monnaies privés américaines se substituer aux monnaies publiques. Les monnaies numériques de banques centrales ne peuvent fonctionner que si elles sont adaptées aux spécificités d’un pays qui maîtrise sa banque centrale. A titre d’exemple, en France la compagnie d’aviation Corsair vient d’annoncer la possibilité de payer ses vols en crypto-monnaie. La Banque centrale européenne teste actuellement une monnaie numérique dont l’échec est prévisible car ne pouvant fonctionner que dans un modèle fédéral après création d’un modèle de Wall Street européen dans lequel toutes les bourses de l’euro zone seraient fusionnés comme le préconise le rapport Draghi. Notre perte de souveraineté serait alors totale.

Par conséquent, la réflexion doit se développer sur la possibilité de créer éventuellement un franc numérique et d’autres monnaies numériques dans les pays de la zone euro. Cette technique ne rendrait-elle pas plus facile la sortie nécessaire de la zone euro ?

  1. Projet de monnaie numérique lancé par Facebook abandonné en 2022 qui reposait sur une fondation qui gérait cette nouvelle monnaie stabilisée par une réserve de monnaies légales type euro ou dollar et des titres gouvernementaux.

  2. Le bitcoin est la crypto reine crée en 2008, considérée aujourd’hui comme une valeur refuge reconnue par les grands fonds d’investissement.

  3. Crypto dont la valeur est stable car adossée à un actif.

  4. 1 Yuan = 1 crypto yuan, parité entre les monnaies légales numériques ou non.

  5. Une monnaie fiat est une monnaie dont la valeur provient essentiellement du fait qu’un gouvernement impose son cours légal sur un territoire donné à travers une banque centrale.

  6. Monnaie légale.

  7. Monnaies convertibles en une certaine quantité d’or.

  8. Convertibles.

  9. Produits financiers combinant actions et obligations en garantissant tout ou partie du capital.

  10. Professionnel habilité à la sécurité juridique et aux signatures électroniques.

  11. Technologie de stockage et de transmission d’information sans autorité centrale.

  12. Processus qui permet de gagner des cryptos en résolvant des équations grâce à la puissance de calcul des ordinateurs.

  13. Marchés centralisés où il est possible de vendre, d’acheter ou d’échanger les cryptos.

  14. Lieu au sein duquel sont regroupés les ordinateurs et les serveurs destinés à miner les cryptos.

  15. Levée de fond publique pour les cryptos, équivalant à la bourse pour les entreprises.

  16. Place de marché centralisée indispensable pour acheter, vendre ou éhanger des cryptos.

  17. Doctrine philosophique qui prône la liberté individuelle comme valeur et rejette toute forme d’autoritarisme politique.

  18. De la même valeur.

  19. Un nœud de réseau est un point de ce réseau où un message peut être crée, reçu ou transmis.

  20. Ensemble d’étapes mathématiques complexes utilisés pour chiffrer et déchiffrer les données sensibles.

  21. Personne qui fournit un service au crypto en échange d’une récompense pécuniaire.

  22. Capacité des banques à créer de la monnaie en octroyant des prêts

  23.  Association entre les mots “alternatifs” et “coin”, les altcoins sont une famille de crypto-monnaies différente des cryptos principales bitcoin et ethereum.

  24. L’autre crypto reine reconnue par les plus grands fonds d’investissement.


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