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La 5e République en état d’urgence. L’état d’exception, point aveugle du système politique.

La 5e République en état d’urgence. L’état d’exception, point aveugle du système politique.
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Par Jean-Louis Brunati, Dynamique populaire constituante (DPC), le 17 décembre 2024.

L’État de droit en question : l’agitation médiatique de Bruno Retailleau

Lors de sa prise de fonction, Bruno Retailleau, ministre actuel de l’Intérieur, affichait ses priorités « rétablir l’ordre » répété trois fois avec un visible contentement. Peu de temps après il déclarait : « l’État de droit n’est pas intangible ni sacré », quelques jours après le viol et le meurtre atroce d’une jeune étudiante, Philippine. En juillet 2023, le même Bruno Retailleau avait parlé de « Français de papier » après la mort du jeune Nahel, tout en déplorant « pour la deuxième, la troisième génération, des régressions vers les origines ethniques ». Récemment, son avertissement ferme aux agriculteurs en révolte a un peu surpris quand on sait que la tradition à droite est de les ménager même quand ils sont très énervés.

A travers son agitation dans les médias, les propos de Bruno Retailleau rappellent les outrances calculées de Jean-Marie Le Pen. Qu’un ministre de l’Intérieur du parti Les Républicains laisse entendre qu’on peut toucher à l’Etat de droit, à savoir la hiérarchie des normes, la séparation des pouvoirs, l’égalité des citoyens devant la loi, ce n’est pas rien ! C’est aussi, plus concrètement, ouvrir à la possible restriction de certains droits, pour certaines catégories, immigrés, jeunes de banlieue, agriculteurs ; mais la liste peut s’étendre à d’autres, grévistes, travailleurs en lutte, éventuellement à toute la population.

Ainsi l’exécutif se libérerait encore un peu plus de tout contrôle. Ce que semble souhaiter le ministre de l’Intérieur c’est un droit qui ne fasse pas obstacle à l’exécutif quand celui-ci veut avoir carte blanche face à des menaces plus ou moins réelles, menaces dont le chef de l’État se réserverait le droit de définir le degré de dangerosité et d’intensité. Un droit en somme obéissant au pouvoir quand ce dernier le souhaite. Or l’État de droit c’est précisément l’inverse de cela : c’est à l’exécutif de respecter le droit existant. Sinon on est dans une forme de despotisme, voire de dictature politico-juridique.

Inscrire dans l’État de droit des dispositions contraires aux principes de l’État de droit, voilà la « logique » où pourraient mener les propos de Bruno Retailleau. On voit qu’au-delà de sa reconnaissance de principe, cette notion d’État de droit peut être mise à mal, elle fait d’ailleurs l’objet d’interprétations diverses et souvent opposées. A travers l’affirmation de l’État de droit certains justifient par avance la violence de l’État quelle qu’elle soit. Les Gilets jaunes s’en souviennent car certains d’entre eux l’ont vécu dans leur chair. Bruno Retailleau se situe assurément dans cette lignée réactionnaire. D’autres soulignent que l’État de droit, quand il est invoqué de façon incantatoire et formelle, est dans bien des cas sans prise réelle sur les injustices réellement vécues, et lui reprochent de servir bien plus souvent les dominants que les dominés, les gouvernants que les gouvernés.

Ce que dit Bruno Retailleau n’est pas très original, il poursuit une logique qui s’est installée au sein des exécutifs, celle qu’un certain nombre de juristes appelle « l’état d’urgence permanent ».

Naissance et évolution de l’état d’urgence

Origine de la notion

La constitutionnaliste Eugénie Mériau fait remonter aux Lumières l’apparition de cette notion, citant Montesquieu : « il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté, comme l’on cache les statues des dieux. » Rousseau pensait que « tout État libre, où les grandes crises n’ont pas été prévues, est à chaque orage en danger de périr ». Les auteurs du 18e ème siècle tels que Montesquieu, Rousseau, Locke, se référaient aux périodes de l’histoire romaine où le Sénat donnait les pleins pouvoirs pour 6 mois à un dictateur afin de résoudre dans l’urgence une situation où la République romaine était en danger à l’externe ou à l’interne. Le Sénat désignait un des consuls comme dictateur. Au bout de 6 mois, qu’il ait réussi ou non sa mission, on le congédiait.

Depuis, on regroupe généralement sous le terme d’état d’exception aussi bien la loi martiale de l’Ancien Régime, l’état de siège déclaré en 1791, l’article 48 de la République de Weimar (1919), la loi d’état d’urgence de 1955 en France, l’article 16 de notre Constitution, ou encore plus récemment le Patriot act américain. L’idée est qu’il faut dans certaines circonstances exceptionnelles mettre entre parenthèse le droit commun, « suspendre le droit ».

En 1955 la 4e République inscrit dans la loi française une nouveauté : l’état d’urgence.

Cette loi coloniale, adoptée le 3 avril 1955 malgré l’opposition de 255 députés de gauche, crée un « régime d’état d’urgence ». Elle est la réponse à l’insurrection algérienne, à ce qu’on appelait « les événements d’Algérie ». Quelques mois auparavant, le 1er novembre 1954 s’était déclenché la « Toussaint rouge », premier acte du soulèvement du peuple algérien. La 4e ème République voulait avoir les mains libres et réprimer dans l’oeuf la rébellion. Cette loi a permis aux tenants de « l’Union Française », nom de l’empire colonial, et à l’administration locale l’emploi de moyens brutaux, légitimés par les autorités au pouvoir à l’époque. Il fallait dissuader la population algérienne de manifester son attachement au respect de ses droits et libertés élémentaires. Les « indigènes » comme on les appelait en vertu du « Code de l’indigénat » étaient traités comme des citoyens de seconde zone, des « citoyens de papier ».

Le gouvernement de l’époque n’utilisa pas l’état de siège pourtant inscrit dans la Constitution mais la loi qui venait d’être votée. Proclamer l’état de siège aurait fait obligation de respecter la Convention de Genève sur les lois de la guerre, alors que dans l’état d’urgence c’est l’administration et non l’armée qui dirige les opérations sur le terrain.

Quand de Gaulle revient au pouvoir en mai 1958 comme président du Conseil (actuel Premier ministre), il n’utilise pas, lui non plus, l’article sur l’état de siège, il décrète l’état d’urgence pour trois mois afin de réprimer la rébellion des putschistes d’Alger. Pour autant par la suite il ne supprimera pas cette loi alors qu’il s’était donné dans la nouvelle Constitution les pleins pouvoirs par l’article 16, utilisé contre le putsch des généraux en 1961.

Dans la version de 1955 le « régime d’état d’urgence » ne pouvait être déclaré que par la loi donc par un vote du Parlement. Mais par la suite l’ordonnance du 15 avril 1960 prévoit que la déclaration d’état d’urgence sera faite par décret en Conseil des ministres, donc par le président de la République et le Gouvernement. Depuis, en près de 50 ans, il n’y a pas eu d’états d’urgence jusqu’en 2005 (émeutes des banlieue).

L’état d’urgence permanent 

Les états d’urgence donnent la possibilité aux pouvoirs publics de déroger temporairement au respect strict d’un certain nombre de libertés fondamentales. Le problème c’est qu’à partir de 2015 le pays connaît des états d’urgence à répétition. Ces exceptions à la règle de droit sont présentées au départ comme des nécessités pour combattre plus efficacement le terrorisme mais on sait que ces mesures ne se sont pas cantonnées à combattre les terroristes islamistes. Elles ont fourni l’occasion de cibler les opposants à la loi travail, les mouvements écologistes radicaux, etc.

A la date du 15 novembre 2021, la France avait déjà vécu quarante-quatre des soixante-douze mois écoulés depuis le 13 novembre 2015 sous état d’urgence » constate la juriste Stéphanie Hennette Vaucher dans un livre de janvier 2022, « La démocratie en état d’urgence », dont le sous-titre est clair : « Quand l’exception devient permanente ». L’utilisation répétée de cette loi inquiète donc un certain nombre de juristes et une partie de l’opinion car cela semble s’installer comme un « nouveau modèle de gouvernement ». L’idée qui dominait auparavant est qu’on pouvait domestiquer l’exception par l’État de droit. Stéphanie Hennette Vaucher rappelle que « l’État de droit s’est construit en opposition à l’état d’exception, avec pour mission de le domestiquer ». Pour décrire le changement introduit par l’état d’urgence permanent, elle parle d’un « état hybride situé aux confins de l’État de droit et de l’état d’exception » ce qui contribue « au brouillage des distinctions fondamentales qui organisent notre lecture politique du monde… ». Bref tout pour déboussoler.

Pour justifier leurs mesures en contournant les problèmes posés par ce brouillage, certains hommes politiques sont allés jusqu’à dire que « l’état d’urgence, ce n’est pas un état d’exception. Il est constitutif de l’État de droit », comme en témoignent les propos rapportés par Stéphanie Hennette-Vauchez du Premier ministre Bernard Cazeneuve, le 20 juillet 2016. Dans le même esprit un juriste a pu parler de l’état d’urgence comme « l’ami du droit ».

Dans son étude annuelle du 29 septembre 2021 sur ce régime d’exception particulier, le Conseil d’État s’est attaché à « cerner ses limites, ses avantages et ses risques ». Sans rejeter son usage car « il est utile et efficace pour faire face à un désordre momentané », il constate aussi que « La question de son usage prolongé soulève de nombreuses questions. Sur le long terme, son usage est délétère : il déstabilise le fonctionnement ordinaire des institutions, en bouleversant le rôle du Parlement et des institutions territoriales, banalise le risque, restreint les libertés de façon excessive et altère, à long terme la cohésion sociale. » Malgré ce constat assez lucide, le Conseil d’Etat pense que « l’enjeu essentiel est de définir les limites à ne pas franchir et de garantir de solides garde-fous procéduraux et des contre-pouvoirs effectifs », ce qui reste assez flou.

Stéphanie Hennette Vaucher souligne le fait que la répétition aboutit à la banalisation de l’exception, on a pu même parler « d’accoutumances ». Elle ajoute surtout que l’entrée dans la loi de mesures prises sous état d’urgence, mesures censées rester provisoires, aboutit à la normalisation de cet état d’exception. Cela peut avoir des conséquences graves dans la mesure où, en se banalisant, les états d’urgence habituent l’opinion à l’état d’exception, le risque est de ne plus y prêter attention ou d’être amené à confondre respect de la loi et respect du droit. Mais le problème principal pour les exécutifs est la difficulté de sortir de l’état d’urgence.

Benjamin Constant avait vu ce danger : « Les amis aveugles des mesures d’exception tombent sans cesse dans la même erreur : c’est au despotisme qu’ils demandent la réparation des maux que le despotisme a causés. Quand un État est prêt à périr ils appellent au secours plus de servitude encore et c’est par un accroissement d’arbitraire qu’ils croient apaiser le besoin de garantie. Mais le pouvoir absolu ne guérit point des blessures qu’il a faites ; il les envenime et les rend incurables. » (Mémoires sur les Cent jours, lettre VIII)

Avec Macron un cran supplémentaire est franchi. Tout en déclarant le 01/11 2017 la fin de l’état d’urgence du gouvernement Hollande-Caseneuve, il annonce la promulgation de la loi Sécurité Intérieure de Lutte contre le Terrorisme (loi SILT). Il pense ainsi résoudre la difficulté de sortir de l’état d’urgence. En réalité dans la loi SILT, les quatre principales mesures prise sous état d’urgence (assignation à résidence, perquisitions à toute heure, etc.) sont conservées sous une appellation un peu différente. De fait il n’est plus besoin de recourir à la loi d’état d’urgence contre les Gilets jaunes pour réprimer, les lois ordinaires suffisent, loi SILT, puis loi Sécurité globale. Les flash-balls et une justice expéditive faisaient le sale travail pendant que le « Grand Débat » enfumait tout le monde. Un éclairage supplémentaire est apporté par l’historien Patrick Weil, directeur de recherches au CNRS dans une tribune au « Monde ». 27.09.2017, « le projet de loi antiterroriste rappelle le code de l’indigénat », « c’est une population particulière qui se trouve ainsi visée : les Noirs et les Maghrébins ».

Par la loi SILT Macron acte la normalisation de l’état d’urgence, dans une formule apparemment ambiguë comme il en est coutumier : « À ceux qui pensent que seul l’état d’urgence nous protégerait, je réponds qu’ils se trompent. L’état d’urgence n’est plus efficace. À ceux qui pensent que nous devrions sortir de l’état d’urgence sans autre changement, je leur dis qu’ils se trompent de la même manière, car la menace est là ».

Avec la crise du Covid en 2020, une nouveauté juridique de plus apparait dans la panoplie de l’exception. Macron fait passer par décret le 16 mars 2020 la loi instaurant « l’état d’urgence sanitaire » qui permet le confinement du 20 mars et les couvre-feux successifs, désignant le virus comme un ennemi, « guerre au virus », « nous sommes en guerre ». Il crée le Conseil de Défense et de Sécurité Nationale, court-circuitant ainsi non seulement le Parlement et mais aussi le Gouvernement. En effet selon l’article 21 de la Constitution c’est « le Gouvernement qui détermine et conduit la politique de la nation », et non un Conseil de Défense dont la composition et les débats internes sont restés confidentiels.

État d’urgence et État de droit

On voit combien la notion d’état d’urgence bouscule l’État de droit. Le discours de l’urgence, discours de la menace, sature notre quotidien. Nos sociétés se vivent et se racontent comme étant contraintes par l’urgence face à des menaces qui nous tomberaient du ciel de tous côtés, terrorisme, Gilets jaunes, « émeutes urbaines » et insécurité, crise sanitaire, économique, financière, ou encore climatique. Si la crise est permanente, l’exception à la norme de droit devient, elle aussi, permanente. Mais alors que devient l’État de droit ? Que devient le droit ? En se banalisant puis en se normalisant, l’état d’urgence vient déconstruire l’idéal de l’État de droit, la notion perd beaucoup de sa vigueur.

Pour Stéphanie Hennette-Vauchez le concept d’État de droit « repose sur l’idée d’une limitation de la puissance de l’État par le droit : l’État agit avec les moyens du droit et il est assujetti à ce dernier. Il repose à la fois sur des méthodes d’assujettissement de l’État au droit et sur l’affirmation d’un droit supérieur à l’État. »

Dans la Constitution initiale deux articles renvoient à l’état d’exception : l’article 16 et l’article 36 sur l’état de siège. L’article 16 est une création de la 5e République, il donne les pleins pouvoirs au chef de l’État. Il rappelle fortement l’article 48 de la Constitution de la République de Weimar en 1919, article funeste car il permit au président du Reich, Hindenbourg, de museler le Reichtag en 1932 dans les mois qui amenèrent Hitler au pouvoir.

Par l’article 16, disposition qui ne figure dans aucune autre « démocratie libérale », de Gaulle s’octroie le pouvoir discrétionnaire de « prendre les mesures exigées par les circonstances », termes on ne peut plus vagues, sans qu’aucune limite de temps ne soit imposée. Le Parlement au bout de deux mois peut seulement solliciter l’avis du Conseil constitutionnel… On est donc bien loin d’un contrôle réel de l’exécutif.

En résumé l’évolution de la 5e République a connu une accentuation des états d’exception, essentiellement sous la forme des états d’urgence, nouvelle forme d’exception qui passe par la loi ordinaire et non plus par la Constitution. En effet les formes « anciennes » de l’exception comme l’article 16 ou l’article 36 ne sont plus appliquées, cependant elles restent inscrites dans la Constitution et peuvent donc éventuellement servir.

Bernard Pêcheur, président de section(h) au Conseil d’État remarque que depuis deux siècles s’est opéré « une sorte de sédimentation des différents dispositifs d’exception, progressivement consolidés dans notre droit positif ». Il ajoute, évoquant la « nouvelle catégorie juridique » que constitue l’état d’urgence sanitaire, « qu’on observe un glissement, du militaire au sécuritaire, du sécuritaire au sanitaire ».

Retour sur la Constitution initiale

Une Constitution n’est pas séparable du contexte historique dans lequel elle est née et des conditions de sa rédaction initiale.Restera ensuite à savoir si les révisions ultérieures de la Constitution l’ont améliorée ou dégradée. 25 fois révisée en 65 ans, la Constitution de 1958 a évolué sur bien des points sans toutefois que soient modifiés ses axiomes de base. En particulier la prédominance de l’exécutif sur le législatif a été réaffirmée de plus en plus fortement ainsi que la prééminence du président de la République au sein de cet exécutif.

Comment cela s’est-il passé ?

Si on prend les choses chronologiquement, trois articles nouveaux par rapport à la Constitution de la 4e République posent problème : l’article 12 qui donne le pouvoir discrétionnaire à une personne de dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple. Nous avons vu tout récemment l’usage qu’en a fait E. Macron et les conséquences pour le pays. L’article 16 évoqué plus haut. L’article 49.3 enfin.

Ce poids du président a été renforcé par référendum en 1962 avec l’élection du président de la République au suffrage universel direct et non plus indirect comme c’était auparavant. Pour ce référendum de Gaulle a recouru à l’article 11, pratique contestée et dénoncée comme « une pratique inconstitutionnelle ». C’est en effet l’article 89 traitant de la révision qu’il fallait utiliser selon tous ses opposants, partis politiques, président du Sénat, Conseil d’État. Ce coup de force du régime explique la censure du gouvernement Pompidou et la dissolution qui a suivi. En effet de Gaulle n’a pas tardé à user de l’article 12 qui permet de dissoudre l’Assemblée sans qu’elle puisse elle-même le démettre, à la différence de la Constitution antérieure où un meilleur équilibre était maintenu entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif : l’Assemblée pouvait démettre le président du Conseil, actuel Premier ministre, qui incarnait le pouvoir exécutif.

L’évolution autoritaire des révisions constitutionnelles

Sans entrer dans le détail des révisions successives, trois tendances apparaissent, étroitement liées.

La première tendance est l’accélération du rythme des révisions, la date charnière étant 1992. Cinq seulement de 1958 à 1992 (en 34 ans), alors que de 1992 à aujourd’hui (en 32 ans), la Constitution a été révisée vingt fois. L’adoption (de justesse) du traité de Maastricht en 1992 explique cet empressement : il s’agissait d’accompagner constitutionnellement la « construction européenne » en opérant plusieurs modifications dont voici les principales :

– La loi constitutionnelle de février 1996 qui réduit de moitié le temps de débat à l’Assemblée pour l’adoption d’un PLFSS par l’ajout de l’article 47.1. Ceci après et malgré le très fort mouvement de 1995 contre les réformes Juppé.

– La loi constitutionnelle de 2005 sur le titre XV : « De l’Union européenne » ancrant dans la Constitution l’appartenance au système de l’UE.

  • La loi constitutionnelle sur le quinquennat (2000) qui eut comme double effet d’accélérer le rythme des campagnes présidentielles et de subordonner les élections législatives à l’élection présidentielle en les faisant se succéder selon l’ordre prévu par Chirac et Jospin et Giscard, complices en cette occasion.

La 2e tendance a vu les référendums disparaître du paysage politique au profit de décisions prises par le Congrès. L’appel à l’expression directe du peuple par référendum n’est plus à l’ordre du jour depuis la défaite subie par l’exécutif et une grande partie de la classe politique lors du référendum de 2005. Or le référendum, seule innovation positive en théorie de la Constitution de la 5e République, donne la parole au peuple directement. Mais en réalité seul le président peut déclencher un référendum par l’article 11. Le Parlement peut le faire également mais comme il faut obtenir l’accord des deux assemblées ça rend la chose très peu probable.

L’autre possibilité de référendum passe par l’article 89 sur la révision mais là aussi, c’est en théorie car le président a la possibilité de ne pas recourir au référendum en passant par le Congrès comme on l’a vu précédemment grâce à l’alinéa 3 qui commence par « toutefois… ». Or le référendum devrait être obligatoire pour toute révision de la Constitution. Quant au RIP (Référendum d’Initiative Partagée), introduit par une révision en 2008, c’est un attrape-nigaud. En effet le dispositif est soumis à de telles contraintes que cela montre qu’il a été conçu pour qu’aucun référendum ne puisse aboutir. Le cynisme de nos dirigeants politiques en la matière révèle leur peur du référendum.

La 3e tendance est marquée par l’utilisation répétée de certains articles, en particulier le 49.3. Il faut remarquer que les 49.3 portent toujours sur des questions de politique économique et sociale, questions vitales pour la classe dominante : réforme des retraites en juin 2024, budget et financement de la Sécurité sociale en décembre 2024… Souvenons-nous : Elisabeth Borne a utilisé 23 fois le 49.3 en près de vingt mois soit plus d’un 49.3 par mois ! Cette frénésie de 49.3 est une conséquence directe de la majorité relative du camp macroniste. Or dans un système démocratique tel que nous le concevons généralement la légitimité tient justement au fait majoritaire. Que faire quand on n’est plus majoritaire, sinon « dégainer » le 49.3 ?

Le 49.3 est ainsi devenu emblématique de la 5e République, du rapport qu’elle institue entre l’exécutif et le Parlement. Le régime de la 5e République permet à l’exécutif d’avoir des assemblées à sa botte, mais ce n’est possible que lorsque le président dispose d’une majorité parlementaire. Dès que l’exécutif se trouve en minorité au Parlement il est obligé de passer en force par le 49.3, mais la banalisation de son usage est bien le signe de sa faiblesse. La situation actuelle le démontre : ce système trouve sa limite quand une motion de censure peut être majoritaire, ce qui a été le cas récemment, avec le seul précédent de 1962. La grande différence est qu’en 1962 la censure a précédé et provoqué la dissolution décidée par de Gaulle.

Personne n’est dupe, c’est Macron qui est censuré. Il obtient la réponse méritée à sa décision de dissoudre l’Assemblée le 7 juillet 2024, usant du pouvoir discrétionnaire que l’article 12 donne au président, ce qui en soi constitue un problème majeur car ce pouvoir n’a aucune contrepartie dans le texte constitutionnel. Il est donc logique et sain que la réalité se rappelle à lui par le truchement de la censure parlementaire.

La motion de censure aura constitué le dernier levier possible de contre-pouvoir parlementaire dans la 5e République. Mais ce contre-pouvoir est fragile parce que les partis qui le portent sont eux-mêmes fragiles et impuissants à répondre positivement aux attentes des Français face aux véritables menaces, celles d’un néolibéralisme décomplexé et de sa tête de pont, le système de l’Union européenne. Le paradoxe réside dans le fait que ces opposants de papier que sont le RN et le NFP sont en même temps les faiseurs de censure.

Les dispositions anti-démocratiques initiales de la Constitution de 1958 et les dérives constitutionnelles qui ont suivi ont considérablement accru les pouvoirs de l’exécutif et affaibli le poids du Parlement dans son rôle de contrôle tout autant que dans le vote de la loi. Cette réalité vide de son sens nos grands principes inscrits notamment dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Disparition du referendum, multiplications des états d’urgence, affaiblissement parlementaire et crise de la représentation, le tableau est noir pour la démocratie, mais ce n’est pas fatal, il est possible de s’unir pour une République réellement démocratique et sociale. Un des moyens de commencer à le faire consiste à se rassembler partout où on le peut dans des comités locaux constituants pour débattre de ce qu’il faudrait faire pour aller dans ce sens et de comment le faire.


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1 commentaire pour “La 5e République en état d’urgence. L’état d’exception, point aveugle du système politique.”

  1. Excellent article.
    Il eut été intéressant de rappeler la nouvelle déclaration des droits du PARDEM qui introduit de nouvelles obligations de respect de nouveaux principes juridiques par TOUS les tribunaux et ce faisant, qui empêche l’arbitraire vers lequel se dirige tout droit la Ve République.

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